Vers le « chacun pour soi »
La réforme à laquelle le président veut désormais s'atteler ne sera pas un énième déplacement des curseurs, mais un bouleversement complet. D'ailleurs, le candidat Macron affirmait dans son programme : « Notre projet, ce n'est pas de changer encore une fois tel ou tel paramètre du système de retraite. » C'est encore dans son programme que s'esquisse « un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé ». Et Macron de nous promettre la liberté de choisir son âge de départ. C'est-à-dire « travailler davantage pour avoir une pension plus élevée ou partir plus tôt avec une pension moindre. Vous saurez exactement ce que chaque année supplémentaire au travail vous rapporte. Nous laisserons les gens libres de choisir ».
Le contexte de la réforme
Cette réforme s'engage sur fond de déficit global des régimes de retraite moins profond que prévu pour 2020. Et, selon les prévisions du Conseil d'orientation des retraites (COR), l'équilibre financier sera atteint un peu plus tôt que prévu également, en 2037 dans le meilleur des cas, en tablant sur une croissance des revenus d'activité de 1,8 % par an en moyenne. Le COR annonce que « le solde financier du système de retraite […] est légèrement amélioré par rapport aux projections de juin » 2017.
Reste, comme le soulignait Jean-Marie Harribey, économiste et membre du conseil scientifique d'Attac, que dans son précédent rapport en juin 2016, le COR estimait que « l'équilibre financier du système de retraite sera assuré suite aux réformes libérales accumulées depuis vingt ans, mais dans des conditions très contestables : le taux de remplacement par rapport au salaire moyen passerait de 75 % à 60 % au milieu du siècle. Tandis que la part des retraités dans la population va continuer à augmenter sensiblement pour des raisons démographiques, il est prévu que la part de la richesse monétaire qui leur reviendra n'augmentera pas, et même baissera (de 14,2 % du PIB en 2014 à 12,8 % en 2060) ». Ces prévisions font donc craindre une nouvelle fois que l'équilibre futur se paye cher, avec à terme une dégradation du montant des retraites.
Dans la péninsule, le système de retraite a connu deux réformes majeures (« Amato » en 1992 et « Dini » en 1995). Elles ont remplacé l'indexation des pensions sur la croissance des salaires par une indexation sur l'inflation, entraînant un décrochage entre actifs et retraités. Le système de revalorisation des retraites a été modifié, l'âge de départ et la durée de cotisation ont été relevés. Le calcul de la pension a été basé sur les cotisations réellement versées au cours de toute la vie professionnelle à la manière de ce que Macron entend faire en France.
De fait, le taux de remplacement du salaire par la pension devrait passer sous les 60 %. La dernière actualité des retraites italiennes, c'est l'indexation de l'âge de départ en retraite sur l'espérance de vie. Il devrait de fait passer à 67 ans en 2021 puisque l'espérance de vie des Italiens est passée de 77 ans en 1990 à 83 ans aujourd'hui. Les Italiens ont toujours la possibilité de partir à la retraite de manière anticipée mais, dès 2019, il sera nécessaire de cotiser 43 ans et 3 mois pour les hommes, et 42 ans et 3 mois pour les femmes. Aujourd'hui, 42 ans et 10 mois sont demandés pour les hommes contre 41 ans et 10 mois pour les femmes.
On peut encaisser le choc démographique
Quant aux prévisions démographiques elles-mêmes, les Économistes atterrés ont la conviction qu'on peut encaisser le choc. En juillet dernier, les économistes Christophe Ramaux et Henri Sterdyniak tempéraient les prévisions démographiques qui ont servi au dernier rapport du Conseil d'orientation des retraites. Ils rappelaient qu'en 1970, on comptait 3 retraités pour 10 emplois. On est passé à 4 en 2000 et 6 aujourd'hui. « Le COR prévoit que la France comptera 7 retraités pour 10 emplois en 2040 et près de 8 (7,7 précisément) en 2070.
Remarquons d'emblée que le « choc démographique » à venir, sempiternellement agité par les libéraux, est bien moindre que celui passé. « Pourquoi ne pourrions-nous pas assumer une augmentation de 30 % du ratio de dépendance (de 6/10 à 7,7/10) dans les cinquante prochaines années… alors que nous avons su gérer une augmentation de 100 % (de 3/10 à 6/10) au cours des cinquante dernières ? » interrogent-ils.
Toute la question est donc, encore une fois, de savoir quelle part de notre richesse notre pays va consacrer au financement des retraites, mais aussi à l'ensemble de la protection sociale dont les besoins vont aller croissant, signe d'une -évolution positive de notre société. Sur cette question, le Medef a tranché en refusant depuis des années de mettre un euro de plus dans les retraites. C'est dans cette optique qu'il a profité de la négociation sur les règles de la fusion des régimes complémentaires du secteur privé, Arrco et Agirc, pour verrouiller l'évolution des recettes.
Un accord qui anticipe la réforme
Cette négociation, qui s'est tenue les 8 et 17 novembre 2017, préfigure et anticipe la réforme que l'exécutif entend mettre en œuvre. Ainsi, l'accord signé par tous les syndicats – sauf la CGT – reprend en particulier les dispositions profondément régressives de l'accord d'octobre 2015, que la CGT n'avait pas non plus paraphé. Il prévoit notamment une baisse de la pension de 10 % pendant trois ans si un salarié ne recule pas de un an son âge de départ sans décote, ce qui, pour la CGT « anticipe un éventuel recul de l'âge de départ en retraite de 62 à 63 ans ». La fusion des deux régimes se traduira par la perte de la garantie minimale de points dont bénéficiaient les cadres qui n'avaient pas suffisamment cotisé.
L'accord de novembre 2017 va plus loin que celui d'octobre 2015 puisqu'il dispose que la revalorisation de la valeur d'achat et de la valeur de service du point de retraite tiendra compte d'un facteur de « soutenabilité financière ». Concrètement, l'accord ouvre de manière inédite la possibilité d'une baisse de la valeur de service du point et donc des pensions. Enfin, l'accord met en place un pilotage semi-automatique du régime, avec une négociation tous les quatre ans sur les paramètres du régime unifié. Outre que cette fusion remet en cause l'un des piliers du statut des cadres en faisant disparaître l'Agirc, les règles adoptées par le nouvel accord vont drastiquement faire baisser les pensions dans un avenir assez proche.
Une baisse programmée des pensions
À la demande de la CGT, les services techniques du GIE Agirc-Arrco avaient chiffré les impacts prévisibles de l'accord proposé par le Medef sur l'évolution de la valeur de service du point (note DT 2017-107, disponible en téléchargement sur le site internet de l'Ugict-CGT). Le pronostic établi avant la dernière négociation est inquiétant. « Dans un contexte d'accroissement de la population retraitée, l'intangibilité des taux de cotisation exigée par le Medef, conjuguée avec la nécessité de disposer à tout moment de six mois de prestations sous forme de réserves contraint à une baisse en euros constants de la valeur de service du point et donc des pensions », constate l'Ugict-CGT.
Ainsi, on peut lire en page 10 de la note que la valeur de service du point – qui s'établissait en 2015 et s'établit toujours à 1,2513 euro – ne serait plus en 2033 que de 1,1420 euro, soit une baisse en euros constants de près de 9 % en dix-huit ans. Et il faudrait attendre 2045 pour qu'elle retrouve son niveau de 2015. Concrètement, pour 1 000 euros de pension qu'il percevait en 2015 en euros constants, le retraité n'aurait plus en 2033 que 913 euros. La baisse du taux de remplacement des pensions complémentaires Arrco et Agirc fusionnées est estimée à 23 % d'ici à 2033. Cadres et non cadres vont donc « cotiser pareil, pour avoir droit à moins », affirme la CGT des cadres.
Le système de pension suédois a été réformé en 1998 pour répondre à une exigence politique : le taux de cotisation du système public de pension liée au salaire ne devait plus changer à l'avenir, et ce définitivement. C'est le principe fondateur du régime de « comptes notionnels » à cotisations définies qui délivre une rente viagère proportionnelle à l'espérance de vie à la retraite en lieu et place d'une pension de retraite proportionnelle au salaire : plus on diffère son départ en retraite, plus le montant de la rente est élevé. De fait, « l'âge normal de la retraite » a disparu et, de ce fait, l'âge auquel on peut prendre sa retraite avec une pension adéquate s'élève constamment. Cette rente est toutefois soumise à un mécanisme d'équilibrage automatique dont la fonction est d'ajuster chaque année le montant global des rentes à verser aux ressources totales encaissées par le régime.
Ce mécanisme transfère tous les risques économiques sur l'individu et a entraîné une baisse considérable des taux de remplacement du salaire par la rente de retraite. Selon les chiffrages de l'Union européenne, pour un taux moyen de remplacement brut du salaire par la pension qui s'établissait en 2004 à 70,9 %, la perspective ne serait plus en 2050 que de 54,6 à 49,5 %. Cette réforme suédoise a sans doute fortement contribué à l'accroissement des inégalités de revenus. Ainsi, selon les données de l'OCDE, avec une hausse de 5,4 %, c'est en Suède que le pourcentage de pauvreté relative (c'est-à-dire les personnes touchant moins de 50 % du revenu médian) a le plus augmenté entre 1995 et 2010. Triste record pour un modèle à suivre…
Emmanuel Macron a annoncé son intention de basculer notre système dans la technique de la retraite par points que les Français connaissent dans les régimes complémentaires. Il s'agit en effet de passer d'un système à « prestations définies » à une retraite à « cotisations définies ». Dans le premier cas, on sait (du moins on peut le calculer) combien on touchera de pension, dans le second, le taux de remplacement du salaire par la retraite n'est plus connu à l'avance.
Le piège des comptes notionnels
Dans un système à prestations définies, « les pensions dépendent en grande partie des cotisations, qui elles-mêmes sont pour une part fonction des salaires (dans la limite du plafond de la Sécurité sociale), le système de retraite est de nature partiellement contributive. L'existence de pensions de réversion, du minimum retraite, de la prise en compte des périodes de maladie ou de chômage, de droits familiaux, atténue le caractère contributif du système et accentue la solidarité entre les ayants droit », explique Jean-Marie Harribey. L'équilibre est assuré en augmentant le taux de cotisation ou le taux d'appel des cotisations (prélèvement supplémentaire) qui n'ouvre aucun droit et s'apparente plutôt à des frais. Tout en fonctionnant en répartition, ce système crée l'illusion que la retraite est une sorte d'épargne. Le système de compte notionnel vers lequel Macron veut tirer nos retraites va encore plus loin dans la logique de « stricte contributivité » (on touche strictement à la retraite ce qu'on « a mis de côté »).
Si, dans les dernières décennies, la question du basculement vers un système par capitalisation s'est posée, cette fois, Emmanuel Macron, le patronat et les milieux financiers n'enfourchent pas ce cheval de bataille. Ils préfèrent dépecer la répartition solidaire, effacer les mécanismes de solidarité, afin de pousser les actifs d'aujourd'hui et de demain à préparer leur retraite par des placements. Ainsi, selon une étude pour l'Agirc-Arrco, 40 % des Français craignent de ne pas percevoir de pension et près d'un tiers des Français (31 %) de moins de 35 ans déclarent « préparer dès à présent » leur retraite. Des jeunes qui anticipent en ouvrant, par exemple, un contrat d'assurance-vie ou en investissant dans l'immobilier.