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SÉCURITÉ SOCIALE

75 ans de la Sécurité sociale : un conquis à renforcer

12 octobre 2020 | Mise à jour le 12 octobre 2020
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75 ans de la Sécurité sociale : un conquis à renforcer

Ambroise Croizat , homme politique français et militant syndical en novembre 1945.

La Sécu fête ses 75 ans à un moment où ce conquis social fondamental est à nouveau attaqué. Avec le projet d'une Sécurité sociale intégrale, la CGT d'aujourd'hui poursuit la lutte dans la continuité du rôle historique qu'elle a joué lors de sa création en 1945.

Protection sociale et retraite : même combat

En s'attaquant de front à notre système de retraites, le gouvernement met en cause les ambitions du programme du Conseil national de la Résistance et les réalisations qui en ont émané, au premier rang desquelles notre Sécurité sociale.

« C'est une infâme imposture… Le projet de réfor­­me que vous portez est la déconstruction du système de retraite par répartition basé sur la solidarité nationale et intergé­nérationnelle », devait récemment s'indigner Pierre Caillaud-Croizat, petit-fils ­d'Ambroise Croizat à l'adresse de Julien Bargeton, un sénateur LREM.

La réforme Delevoye-Macron s'inscrit en effet aux antipodes des valeurs du « plan complet de Sécurité sociale » tel qu'il figure dans la « Charte de la Résistance » adoptée le 15 mars 1944. Ces principes fondateurs sont notamment l'unité et l'universalité de la protection sociale, la solidarité intergénérationnelle (et celle entre bien-portants et malades ou en perte d'autonomie), et enfin la démocratie avec la gestion par les assurés sociaux eux-mêmes.

Ce sont là les composantes d'une vision et d'un projet de société dont la protection sociale (avec un système de retraite à prestations garanties) est la clé de voûte. Mais ne sous-estimons pas le néolibéralisme macronien, qui porte lui aussi une vision globale de la société. Et c'est tout sauf un hasard si l'offensive idéologique du gouvernement s'attache à pervertir méthodiquement chacun des fondamentaux de la Sécu.

Quelle sécurité sociale pour le XXIe siècle ?

1945-1946 : la CGT bâtit un conquis historique

La Sécu a une longue histoire, mais 1945 est un moment-clé, celui de la naissance du régime général. La situation économique est totalement détériorée et le pays ruiné. Le patronat collaborationniste est discrédité, mais il dispose toujours de relais importants pour s'opposer à ce projet révolutionnaire. A contrario, le Parti communiste bénéficie du prestige acquis dans la Résistance. Il obtient 26,23 % des voix lors des élections de l'Assemblée constituante du 21 octobre 1945.

La gauche ­dispose d'une forte assise dans une configuration inédite. Quant à la CGT, elle revendique alors cinq millions d'adhérents. Sur le plan législatif, ce sont les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 qui mettent en place le régime général de la Sécurité sociale. Et c'est Ambroise Croizat (communiste), ancien secrétaire de la fédération CGT des métaux, devenu ministre du Travail et de la Sécurité sociale en novembre 1945, qui la mettra en œuvre avec Pierre Laroque (gaulliste), sous son autorité comme administrateur général de la Sécurité sociale.

Sous l'impulsion d'Henri Raynaud, secrétaire de la CGT en charge de la Sécurité sociale, les militants CGT s'engagent massivement, en 1946, dans une campagne pour la mise en place concrète de caisses de Sécu en territoire. Le parcours est parsemé d'embûches, mais il débouche en six mois sur la mise en place d'un conquis historique. La bataille est menée avec un enthousiasme militant extraordinaire ; on gagne les consciences, on trouve des locaux et on crée les nouvelles caisses.

Principes fondateurs

La réforme de 1945 prône l'unité de la Sécurité sociale sur le plan financier, technique et social. Les trois principes fondamentaux de la Sécurité sociale sont : la caisse unique, la cotisation interprofessionnelle à taux unique et la gestion démocratique des caisses par les travailleurs eux-mêmes. Dans la commission Délépine chargée de préparer les ordonnances, la CGT préconisait ainsi une caisse nationale sans patron ni tutelle étatique, mais elle ne parvient pas à l'imposer.

De même, elle revendiquait aussi la fusion des assurances sociales avec les allocations familiales. Au vu de la difficulté à imposer d'emblée ce régime général universel, les ordonnances de 1945 reflètent déjà un compromis avec un renvoi à des ordonnances ultérieures pour élargir le champ d'application. L'exclusion de l'assurance chômage est déjà en soi une atteinte au principe de l'universalité.

Ambroise Croizat a donc été contraint de composer dès la mise en place de la Sécu. Il maintient notamment la médecine libérale et les mutuelles. Ainsi, si les fondateurs de la Sécu avaient bien l'ambition d'une Sécurité sociale unique, universelle et à 100 %, dans les faits, ils n'ont pas pu atteindre toutes leurs ambitions. Au départ, les remboursements étaient autour de 80 % avec l'idée de cheminer vers les 100 %. Quelques professions, comme les cheminots, bénéficiaient de meilleures prestations que celles du régime général. Ces régimes spéciaux ont été préservés pour servir de modèle à un futur alignement. Mais l'histoire est allée à rebours.

ÉMISSION SPÉCIALE – Faire fructifier l'héritage d'Amboise Croizat : défendre la Sécurité sociale et la renforcer

La Sécu est combattue durement dès sa naissance

Les mutuelles et les assurances sont à l'époque vent debout contre la mise en place de la Sécu. Or, l'héritage du passé fait de la protection sociale un véritable patchwork. On recense 725 caisses d'assurances sociales et 176 caisses de mutuelle dont les règles sont d'une grande hétérogénéité. Les attaques viennent aussi d'autres sources : le patronat, bien sûr, qui a des relais au gouvernement et combat notamment la cotisation unique, les cadres, qui souhaitent le maintien des régimes d'entreprise plus favorables et un plafond de cotisation, la CFTC, qui revendique l'autonomie des caisses d'allocations familiales.

Enfin, certaines professions et les non-salariés qui refusent d'intégrer le régime général et veulent des caisses autonomes. Le tout sans compter des syndicats de médecins qui refusent de passer des conventions avec le régime général. Lors des premières élections de la Sécu, en 1947, la CGT disposera d'une majorité prédominante dans des conseils d'administration composés au trois-quart de salariés et d'un quart d'employeurs.

Mais 1947 est une année charnière. Les fonctionnaires sont intégrés au régime général, cependant que la loi Morice du 17 mars 1947 réintroduit les mutuelles dans la boucle comme correspondants du régime général. L'année 1947 voit aussi la création de caisses autonomes des professions indépendantes et de l'Agirc en dehors du régime général.

Une des originalités du système Croizat, c'est d'avoir mis les cotisations à l'abri des appétits de la finance et de l'assurance privée.Pierre Caillaud-Croizat

C'est aussi l'année du départ des ministres communistes du gouvernement. Sur le plan syndical, au sein de la CGT, le poids des corporations se fait entendre. Les débats sont vifs et conduisent à la scission d'avec Force ouvrière. En 1958, c'est la création de l'Unédic et en 1961, le patronat peut s'appuyer sur la CFTC et FO pour mettre en place un deuxième régime de retraite complémentaire : l'Arrco.

L'unité de la protection sociale a donc déjà pris des coups, et ce n'est pas fini. En 1967, la ­gestion de l'ensemble des risques par une caisse unique est remise en cause par l'éclatement en trois caisses : vieillesse, maladie, allocations familiales. La même année, De Gaulle change les règles des élections dans les caisses de Sécu et impose une part d'administrateurs patronaux plus importante.

La CGT perd le contrôle des conseils d'administration. En 1983, ont lieu les dernières élections aux conseils d'administration de la Sécu. Celles prévues six ans plus tard seront repoussées pour ne finalement jamais se tenir. En 1991, Michel Rocard met en place la CSG (contribution sociale généralisée). Celle-ci était de 1,1 % à sa création. Elle atteint aujourd'hui 9,2 %. Ce faisant, le financement par l'impôt se substitue à celui par la cotisation.

En 1996, Alain Juppé installe les lois de financement de la Sécu qui dessaisissent les conseils d'administration de ces questions. Les hôpitaux vont commencer à souffrir. Et, un peu plus tard, s'y ajoutera la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale).

Un à un, tous les principes ­fondamentaux de la Sécu de 1945 sont attaqués : le salaire socialisé financé par la cotisation est vidé de sa substance par la fiscalisation, les exonérations de cotisations sociales affectent le financement de la Sécu, la solidarité intergénérationnelle devient le chacun pour soi universel. Ainsi, depuis 75 ans, ce sont bien les mêmes fondamentaux qui sont au cœur de l'affrontement de classe, une bataille majeure qui se joue aujourd'hui avec la retraite par points dont le montant des prestations n'est pas garanti.

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