Dossier - Réforme pénale
La rupture avec la logique du « tout carcéral » n'a pas eu lieu. La lutte pour une politique pénale axée sur la prévention, la réinsertion et la justice sociale mérite de se poursuivre.
Les faits. Le Sénat examinera à partir du 24 juin le projet de réforme pénale adopté en première lecture
à l'Assemblée le 10 juin.
Le contexte. L'objectif est de lutter contre la récidive en proposant une alternative à l'incarcération et une prise en compte de la situation de chaque délinquant.
Les enjeux. La rupture avec la logique du « tout carcéral » n'a pas eu lieu. La lutte pour une politique pénale axée sur la prévention, la réinsertion et la justice sociale mérite de se poursuivre.
Le 10 juin dernier, les députés ont adopté en première lecture le projet de réforme pénale de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, dont les deux mesures phares sont l'abrogation des « peines plancher » et la création d'une nouvelle peine sans emprisonnement, la « contrainte pénale ». Le projet de loi sera examiné au Sénat à partir du 24 juin.
Le projet, initialement ambitieux, s'est d'abord appelé « Prévention de la récidive et individualisation de la peine » mais, après son passage le 27 mai devant la Commission des lois, il s'est mué en projet de loi « tendant à renforcer l'efficacité des sanctions pénales ». Il s'agit manifestement de prévenir l'accusation de laxisme formulée par une opposition adepte du « tout carcéral ». Le texte ainsi durci est pour le moment insuffisant, voire inquiétant sur certains aspects.
1. Le projet de loi
L'argumentation du projet de loi se veut réaliste. Plus de 90 % des faits relevant du Code pénal sont des délits, et non des crimes. Ils peuvent être punis jusqu'à dix ans d'incarcération. La petite et moyenne délinquance a fait l'objet de peines de plus en plus lourdes depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, suivies de « sorties sèches », c'est-à-dire sans accompagnement ni dispositif de réinsertion. Or, le fait est désormais établi : la généralisation de peines d'incarcération pour des délits mineurs, de surcroît suivies de sorties sèches est le principal facteur de récidive. Environ 60 % des détenus sont de nouveau condamnés dans les cinq ans, et les plus récidivistes sont les plus petits délinquants : c'est bien la preuve que la prison ne saurait résoudre le problème.
Lutter contre la récidive
« Nous, nous affrontons les faits, et nous voulons que la peine soit efficace. Et pour qu'elle soit efficace, il faut qu'elle ait un sens pour la société, pour l'auteur des actes et pour la victime. » Le sens, explique Christiane Taubira dans sa présentation du projet à la Chancellerie, est à rechercher dans l'individualisation des peines, qui donne aux magistrats des outils pour prononcer les sanctions les plus justes, et donc au cas par cas. Cette volonté d'adapter les peines aux situations vise avant tout à faire sortir un maximum de personnes du « chemin de la délinquance ». Une vision a priori conforme au rapport de la conférence de consensus organisée par le ministère de la Justice en septembre 2012, qui recommande de concevoir la peine de prison « non plus comme une peine de référence, mais comme une peine parmi d'autres ».
L'individualisation des peines
Le projet de loi affirme que la peine doit être individualisée. Il supprime les peines applicables automatiquement, sans considération aucune du contexte du délit et de la situation du délinquant. Il va ainsi à l'encontre des « peines plancher », ou peines minimales pour les récidivistes, instituées par la loi Dati de 2007, qui consistent à punir systématiquement la récidive, en plus du délit.
La contrainte pénale
La contrainte pénale, dite aussi « peine de probation » est une nouvelle peine, une alternative à la prison et au sursis. Sous le contrôle du juge d'application des peines, elle consiste à respecter « en milieu ouvert » (c'est-à-dire hors de la prison) des obligations et interdictions durant six mois à cinq ans, afin de prévenir la récidive en favorisant la réinsertion. Elle s'appliquera à l'ensemble des délits à partir du 1er janvier 2017. D'ici là, et une fois la loi promulguée, elle pourra être prononcée en cas de délit pour lequel la peine encourue est de cinq ans de prison maximum.
On est un peu dans le flou concernant les modalités de ce programme individualisé : travaux d'intérêt général, assortis ou non d'une obligation de suivi médical, de médiation ou encore de stages de sensibilisation sur les violences familiales, par exemple ? Ce qui est sûr, c'est qu'en cas de non-respect de ses obligations, le condamné n'ira pas automatiquement en prison. Les manquements au régime de la peine de probation constitueront cependant un nouveau délit, qui sera suivi d'un renvoi devant le tribunal. Le juge d'application des peines sera alors chargé de prononcer une nouvelle sentence.
Les autres mesures
Le projet de loi prévoit la possibilité de faire un procès en deux temps. Le tribunal peut prononcer la culpabilité et des mesures d'indemnisation des victimes lors d'une première audience et renvoyer sa décision sur la peine à une seconde audience dans un délai maximal de quatre mois (deux mois en cas de placement en détention provisoire) pour avoir davantage d'informations sur la personnalité et la situation de l'auteur.
Il entend également lutter contre les sorties sèches de prison (actuellement 80 % des sorties et même 98 % pour les peines de moins de six mois) par une préparation effectuée aux deux tiers de la peine, sous la forme d'un projet d'insertion comportant des mesures de restriction, d'obligation et/ou de surveillance.
La justice devra prendre « toutes les dispositions utiles afin qu'aucune femme enceinte ne puisse être placée ou maintenue en détention au-delà de la douzième semaine de grossesse », hors des cas de crimes et de délits commis contre les mineurs.
Enfin, les victimes pourront saisir la justice de ce qu'elles estiment être une atteinte à leurs droits en cours d'exécution de peine, et demander à être informées de la fin de l'exécution d'une peine de prison.
2. Des ambitions revues à la baisse
D'après les chiffres de l'administration pénitentiaire, 68 859 personnes étaient détenues au 1er avril 2014 et le chiffre ne cesse d'augmenter. En 2013, la surpopulation carcérale était en France de l'ordre de 113,4 prisonniers pour 100 places, selon un rapport du Conseil de l'Europe.
La réforme pénale se voulait à l'origine un remède à cette situation. Cécile Marcel, directrice de la section française de l'Observatoire international des prisons, résume le durcissement opéré par le gouvernement dans la revue Dedans Dehors : « À vouloir répondre sans cesse aux attaques indues de laxisme, en se laissant piéger par l'illusion selon laquelle procéder à plus d'emprisonnements et de contrôles serait gage de fermeté, le président a fait le choix des concessions. […] Au lieu de défendre une vision, il a entrepris de décortiquer chaque mesure à l'aune de ce qui serait soi-disant acceptable par l'opinion publique. »
Compromis sur la contrainte pénale
C'est ainsi qu'en juillet dernier, le projet de Christiane Taubira subit d'abord les foudres de Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, totalement opposé à la contrainte pénale. Dans sa première mouture, le texte prévoyait la possibilité de l'appliquer à tous les délits ; le gouvernement l'a alors limitée aux délits pour des peines prévues dans le Code pénal d'un maximum de cinq ans (dix en récidive). Le compromis finalement trouvé renvoie à 2017 l'extension à tous les délits.
Autre recul majeur : la peine de probation n'est toujours pas détachée de l'emprisonnement, la commission d'aménagement des peines pourra réincarcérer un probationnaire s'il ne respecte pas ses obligations, contrairement aux préconisations de la conférence de consensus de 2012.
Entre les mains des services de police
Par ailleurs, le juge d'application des peines pourra désormais ordonner la géolocalisation et les écoutes des sortants de prison. Surtout, la surveillance judiciaire des sortants est confiée indirectement aux services de police, lesquels pourront obtenir des documents confidentiels (les jugements, les casiers judiciaires, les expertises psychiatriques) pour « s'assurer du respect de la mesure » ordonnée par le tribunal. Les policiers pourront ficher les sortants de prison en probation, et même les interpeller et les retenir pendant vingt-quatre heures.
Encore moins d'aménagements de peine
Une autre disposition du texte avait été imposée par Manuel Valls en 2013. Il s'agissait de réduire le seuil des aménagements de peine de deux ans et d'un an pour les récidivistes. Dorénavant, il ne sera possible d'aménager que les peines de moins de un an, ce qui devrait augmenter les incarcérations.
3. Une rupture ratée avec le « tout carcéral »
L'Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP) de la CGT s'était félicitée en 2013 de plusieurs préconisations de la conférence de consensus, qui rejoignaient ses orientations : volonté affirmée de rompre avec la référence unique à la prison, réorientation autour de la réinsertion, meilleure individualisation à toutes les étapes du processus pénal, abrogation des peines planchers et du prononcé systématique des périodes de sûreté. Elle soulignait que « le symbole d'une peine de probation déconnectée de la référence à la prison est intéressant et doit conduire à réinstaurer le lien essentiel qui fonde le système : le suivi et l'accompagnement confiés au travailleur social qui informe et assiste directement le magistrat pour l'aide à la décision (1)».
Mais la peine de probation, qui devait simplifier les procédures et constituer une véritable alternative à l'enfermement, s'est transformée en « contrainte pénale », une nouvelle peine qui vient s'ajouter au millefeuille existant. Les réductions des seuils d'aménagement des peines se traduiront par le maintien en détention d'un grand nombre de personnes (entre 5 000 et 12 000).
Des évolutions nécessaires n'ont en revanche pas été validées, comme l'abrogation de la rétention de sûreté, la fin des comparutions immédiates, les tribunaux pour mineurs.
Des dispositions policières attentatoires aux libertés individuelles ont en revanche été intégrées, qui prévoient d'étendre les pouvoirs de la police.
L'UGSP CGT réaffirme l'importance d'un « renversement de logique qui implique tout d'abord qu'une peine soit juste, proportionnée et adaptée à la situation de la personne jugée et qu'ainsi la prison devienne l'exception (2)». Et, estimant que le texte adopté par l'Assemblée est « trop timide sur ce point », rappelle ses revendications : la dépénalisation et la « contraventionnalisation » de certains délits mineurs, le recours limité à la procédure de comparution immédiate, à la détention provisoire, au mandat de dépôt.
Enfin, elle souligne la question cruciale des moyens réellement alloués aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et aux établissements pénitentiaires, à leur personnel et aux partenaires d'insertion pour faire de la prison un lieu résolument tourné vers la réinsertion. La création des 1 000 postes en SPIP annoncés est à nouveau mise à mal à la lecture des préconisations de la Cour des Comptes qui proposent entre autres le gel des recrutements pour les ministères prioritaires. « Les garanties d'un service public de l'État et de missions régaliennes ne sont pas inscrites dans cette loi et les risques de délégation et de privatisation de celles-ci ne sont pas des fantasmagories. La CGT sera très vigilante sur des velléités à peine voilées de diluer les missions des SPIP en retirant l'aspect éducatif et social de son champ d'intervention. »
La CGT, qui porte la vision d'une rupture avec le « tout carcéral » continuera à lutter pour une politique pénale axée sur la prévention, la réinsertion et la justice sociale.
(1) « Recommandations du jury de consensus : Une nouvelle ambition pour la réinsertion ? », communiqué UGSP CGT du 25 février 2013.
(2) « Réforme pénale / SPIP : entre deux assemblées : quelles perspectives ? », communiqué UGSP CGT du 20 juin 2014.