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construction

Les chantiers honteux de Vinci

25 janvier 2017 | Mise à jour le 27 janvier 2017
Par | Photo(s) : Pierrick VIllette
Les chantiers honteux de Vinci

Sur un chantier majeur de la RATP, une cinquantaine de travailleurs kurdes et turcs, non déclarés, sans contrat de travail et sans salaire depuis des mois sont entrés en grève, le 24 janvier à minuit. Soutenus par la CGT, ils entament une longue lutte pour la reconnaissance de leur travail et mettre fin à une situation de quasi esclavage.

Sur l'échelle du pire, on ne sait pas bien où positionner cet énième cas scandaleux d'exploitation de l'humain en situation d'extrême vulnérabilité par des entreprises championnes du CAC 40. Nous voici chez Vinci, l'opérateur BTP à 2 milliards d'euros de résultats en 2016. Comme souvent, Vinci a remporté l'appel d'offre pour un gros chantier de construction. En l'occurrence, celui de la RATP (maître d'ouvrage) pour la rénovation de sa plus grande station de métros qui va de Châtelet à Châtelet – Les Halles. C'est un très gros chantier, et les travaux sont importants, qui concernent la réfection totale de toutes les surfaces, celles du sol, des parois, des piliers de soutien, des plafonds en volutes, des coffrages, etc.

Sous traitance à gogo

Le donneur d'ordre pour la réalisation des travaux n'est pas celui qui a remporté l'appel d'offre, mais une entité tierce, l'entreprise SOGEA TPI, qui n'est autre qu'une filiale du groupe Vinci. Or, SOGEA TPI, a confié la réalisation des travaux à l'un de ses sous-traitants habituels, la société FH Service dont l'arbre généalogique du patronyme varie (FC 10, puis France Ouvrage, Intertravaux, FH Service, etc)  au gré de l'éclatement des scandales, toujours les mêmes : travail dissimulé, impayés de salaires, chèques sans provision, emploi de travailleurs en situation irrégulière et autres fraudes fiscales aux cotisations patronales jamais versées à l'URSAFF.

Réunis dans le réfectoire de la RATP, station Chatelet, les ouvriers attendent l'arrivée de la CGT. C'est un ancien collègue qui les a adressés à la centrale syndicale désormais célèbre pour ses combats contre le travail dissimulé et l'exploitation humaine (voir article Covea, chantier de l'avenue de Breteuil).

Ils sont de tous âges, très jeunes ou très âgés mais tous ont en commun de porter les marques d'une existence sans confort, mais pas sans dignité. La plupart ont d'ailleurs une famille, présente sur le territoire, et nombreuse, qui dépend totalement d'un seul revenu pour cinq à sept bouches à nourrir. Autre point commun: ils parlent bien français, voire d'autre langues étrangères dont la bonne maîtrise témoigne de leurs déplacements successifs pour la quête de travail.

Arnaques en cascade

A tour de rôle, ils relatent leur cas: les retards de versement de salaires, les chèques en bois, les accidents du travail non déclarés, l'absence de protection contre l'amiante qui est partout dans les murs de la station Châtelet; le chantage à l'emploi et au versement du salaire, exercé par le patron ; ses menaces récurrentes en cas de rébellion, de grève ou de dénonciation. Et dernièrement, signe que la tension monte, la privation de salaire (de 1 300 euros en moyenne) depuis trois à six mois pour la majorité d'entre eux. « On a tenté les débrayages et la grève plusieurs fois, mais il menace de nous foutre dehors et de nous empêcher d'accéder au réseau RATP » explique Gulen. « On connait bien ce processus psychologique de “soumission à la dette du salaire impayé” qui maintient les exploités dans une dépendance totale vis à vis de leur exploiteur », explique Marilyne Poulain du Collectif confédéral CGT des travailleurs migrants.

Le travail est nocturne. Les ouvriers montent à 22h30 jusqu'à 5 ou 6 heures du matin, sans aucune pause et sous le contrôle d'un chef de chantier omnipotent qui décide  de tout : s'il faut continuer ou s'arrêter à l'horaire prévu, et, en cas de protestation, s'il faut « aller voir ailleurs si j'y suis ».

En présence de la CGT (fédération de la construction, UD 75, collectif confédéral des travailleurs migrants…) qui s'engage avec eux dans une longue bataille contre FH Service, Vinci, voire la RATP, la parole des salariés se libère et l'envie de se battre reprend le dessus. Comme prévu, l'inspection du travail intervient sur le coup de 23 heures et constate l'existence d'une relation de travail entre ces ouvriers exploités et FH Service, leur employeur. Bien décidé à se battre, les ouvriers de l'ombre ont voté la grève à l'unanimité et cessé le travail. Première étape d'une longue bataille.