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CINÉMA

La mante religieuse : Franco trébuche sur « Les Filles d'Avril »

2 août 2017 | Mise à jour le 3 août 2017
Par | Photo(s) : Condor Entertainment
La mante religieuse : Franco trébuche sur « Les Filles d'Avril »

Une vision effrayante de la famille

Une mère vole son mec et son bébé à sa jeune fille de 17 ans. À partir d'un drame familial, le cinéaste mexicain Michel Franco prolonge sa réflexion sur l’adolescence, la famille et la violence. Un film cru, froid, formellement intéressant, mais lesté par trop d’invraisemblances.
Le Mexique. Le soleil. La mer. Dans la cuisine d’une petite bâtisse ouverte sur la plage, une jeune femme prépare un frugal petit déjeuner, lasse et indifférente aux bruits de coït émanant de la chambre attenante. Quelques instants plus tard, une autre jeune femme, nue, repue et au ventre arrondi, entre dans le cadre et croque une pomme à pleine dents. Dans ce cadre idyllique, le malaise saute déjà à la figure. L’une mange (par dépit), l’autre baise (avec envie). Avec ce premier plan­-séquence – durant lequel la caméra promène un regard panoramique à partir d'un point unique –, le cinéaste Michel Franco présente Les Filles d’Avril : deux sœurs, l’une pas très jolie et un peu lourde, l’autre, magnifique et amoureuse.

Valeria est enceinte à seulement 17 ans et, avec son petit ami, elle a décidé de garder l’enfant. Mais la grossesse avançant, l’argent manquant et les parents du jeune homme rejetant en bloc cette maternité qu’ils voient comme la perte de leur fils, c'est un appel au secours à la lointaine mère espagnole qui s’impose, malgré les craintes ressenties. Elle arrive, grande, superbe, compréhensive, prenant les choses en main. Elle est prof de yoga, elle sait être zen. Excelle, dans ce rôle suavement dangereux, l’actrice Emma Suarez, qui avait incarné Julieta, le personnage principal du dernier film de Pedro Almodovar. Elle entre en scène chez Michel Franco, déjà colorée de l'image de mère castratrice qu'elle a parfois incarnée dans le cinéma espagnol. Les cadrages en angle, le rythme lent, la durée des plans, le jeu des acteurs, la progression du récit montrent la jeune maman progressivement débordée par ses responsabilités… et font sentir que ça va dérailler sec. Que cette mère est trop bien mais aussi trop invasive, que la famille va voler en éclat… Mais on n’imagine pas encore comment. Et pour cause : quand, soudain, Avril usurpe la place de sa fille auprès de sa petite-fille et de son mec, on est intéressé par les ressorts psychologiques, intrigués de savoir les chemins que va emprunter la dramaturgie, mais on ne croit plus tellement au déroulement de l’action.

Michel Franco s’était illustré en 2012 avec Despues de Lucia, un premier long métrage percutant et magnifique. En 2015, Chronic avait également fait parler de lui avec le traitement cru et controversé accordé au portrait d’un aide soignant solitaire et borderline. On connaît son cinéma peu amène, peu sympathique, pas très accueillant, voire un peu déshumanisé… Pourquoi pas, s’il s’agit d’explorer le sujet ? De repousser les limites ? Mais ici, il trébuche assez franchement. Trop peu de crédit est accordé à ce jeune père qui se laisse embarquer dans ce mirage de réussite familiale et sociale aux côtés de la mère de son amoureuse qu’il laisse derrière lui. Explorer les faiblesses de l’âme humaine, d’accord, mais sans lynchage. Ou bien alors, il manque une partie du récit, et l’utilisation de l’ellipse, qui souvent renforce la force d’un propos, est ici démesurée. Car le constat sociétal auquel il aboutit est proprement effrayant et sans appel : la lâcheté et la faiblesse des jeunes pères engendreraient de nouvelles générations de mères, encore plus animales et possessives que les précédentes. D’un côté, les pères, irrémédiablement irresponsables, de l’autre, les mères voraces. Naturellement, la cellule familiale est toxique. Mais pas seulement.

Les filles d'Avrilréalisé par Michel Franco, 1 h 43. Sortie nationale : le 2 août 2017