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CINÉMA

Que Dieu pardonne Sorogoyen

9 août 2017 | Mise à jour le 7 novembre 2017
Par | Photo(s) : Warner Bros Pictures España
Que Dieu pardonne Sorogoyen

Sorogoyen ausculte la nature humaine au-delà du film de genre.

Avec un thriller retors et poisseux au cœur d’un Madrid asphyxié par la crise et la chaleur de l’été 2011, le cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen signe un portrait désenchanté – et palpitant – de la société espagnole.

Mi-août 2011. À Madrid, l'été est brûlant. On étouffe à cause de la chaleur. On étouffe à cause de la crise financière de 2008, qui a tendu le climat social de la ville avec son lot de chômeurs, d’émigrés, de sans-papiers et d’Indignés qui cherchent une issue. Cerise sur le gâteau , on est dans l'attente de la visite du pape Benoît XVI, d'où une cohorte de pèlerins venus de toute l’Europe et des controverses entre pros et anticléricaux. Les autorités et les forces de l’ordre sont sur le qui‑vive, le niveau d’alerte est maximal, le budget minimal. Coupes budgétaires obligent, on ne répare plus la clim dans les voitures de patrouille mais on fait des journées à rallonge. Les flics sont à cran, qui s’esclaffent dès le début de journée autour d’une bière et d’une blague sexiste, raciste, insultante, etc. Et on se fait la nique entre services quand on ne pète pas un plomb à tabasser un collègue… L’enfer.

La violence est une préoccupation constante chez Rodrigo Sorogoyen, jeune cinéaste espagnol déjà remarqué pour son précédent long-métrage, Stockholm, un drame psychologique aux allures de fausse comédie romantique entre deux jeunes, qui dégénère en véritable cauchemar et confine au portrait déroutant d’une jeunesse féroce (ou enragée). Ici, son thriller poisseux, primé pour son scénario au Festival International du Film de Saint-Sébastien en 2016, Que dios nos perdone (Que Dieu nous pardonne), est bien plus qu’un film de genre.

Alfaro et Valverde, deux inspecteurs de la police nationale, découvrent des meurtres en série de vieilles dames bien sous tous rapports et cernent peu à peu un mode opératoire, un profil de serial killer à la personnalité bien particulière. Tous les ingrédients du polar sont là : un duo improbable et une enquête difficile sur un fond d'incandescence sociale. Deux flics aux personnalités et aux vies diamétralement opposées : le premier, généreux, grande gueule, père et mari aimant et brutal, le deuxième, calme, méthodique, mutique, seul et bègue.  Une enquête qui patine, entravée de lourdeurs administratives et ralentie par les fausses pistes, les cadavres qui s'empilent comme des feuilles, les vies privées qui s’enflamment franchement ou s’effilochent lentement… L’intrigue est méticuleusement ficelée, le rythme alterne entre la course contre la montre et des moments de respiration tendres ou gênants mais toujours sensibles. C’est le cas au cours de cette conversation intime entre les deux équipiers au sujet du sexe. Alors que le registre général des dialogues est plutôt salace et soutenu, l’échange se ralentit soudain, et prend imperceptiblement des accents pudiques. De même, cette rencontre entre l’inspecteur solitaire mélomane et la femme de ménage de l’immeuble qui dérape à l’avènement du désir. Ou encore cette séquence où la douleur d’un homme trahi peut l’étourdir au point de laisser son chien crever… de soif.

Que Dieu nous pardonne, si l'on vacille

Tout est prétexte à l’auscultation de la nature humaine. Celle des deux hommes inspecteurs de police mais aussi celle du tueur que le spectateur approche à mesure que l’intrigue progresse. On entre progressivement dans les hautes sphères de la bourgeoisie espagnole, celles, historiquement liées à la droite du parti populaire, à l’élitisme et au rigorisme clérical de l’Opus Dei. Par petites touches et sans  prétention, Sorogoyen livre, en creux de son captivant polar, un portrait acéré de la société espagnole contemporaine et une réflexion effrayante et humaine sur la violence des hommes. La frontière entre les gentils et les méchants a sauté, qui distinguait le bien et le mal. La violence a gangréné tous les pans de la société. Et si les mères ont une responsabilité dans sa transmission, c’est bien la brutalité d’une société machiste dont il est question. D’une violence imprévisible, contre laquelle les antidépresseurs ou la culture ne peuvent même plus faire rempart. Alors Que Dieu nous pardonne, si l’on vacille.

La bande-annonce du film