11 octobre 2017 | Mise à jour le 11 octobre 2017
L’Atelier, dernier film de Laurent Cantet, réalisateur de Entre les murs et de Ressources humaines, entre autres, ausculte les frustrations d’une jeunesse confrontée à l’ennui, aux manques de perspectives et tentée par les idées d’extrême droite. À la fois flippant et passionnant.
Comment envisager son avenir aujourd’hui quand on est un jeune blanc de la classe moyenne du Sud de la France, en voie d’insertion et en pleine distanciation avec sa cellule familiale ? Comment, à l’heure classique de la confusion adolescente, ne pas être attiré par la voie militaire et la logique patriotique devant les clips vidéo de recrutement de l’armée française, délibérément calqués sur l’imagerie des jeux vidéos et du film d’aventure ? Comment ne pas être intéressé par les discours d'extrême droite qui mêlent xénophobie et populisme, dans des discours anti-politiquement-corrects, anti-mondialistes, anti-système, qui bien que ultra-caricaturaux et attendus, sont néanmoins d’une efficacité redoutable quand on est à l’âge où on veut tout changer… ou du moins compter ? Ces questions sont au coeur de L’Atelier, dernier film de Laurent Cantet.
Sous la pinède
Été 2016 à La Ciotat. Au milieu d’une pinède, huit jeunes en insertion commencent un atelier d’écriture au cours duquel ils doivent rédiger ensemble un roman noir avec l’aide d’Olivia, une romancière parisienne connue. Six garçons et deux filles autour de la table : discussions, rires, hésitations, engueulades… Le travail d’écriture va faire éclore les personnalités, les opinions de chacun et peu à peu faire ressortir le passé ouvrier de la ville, celui de son chantier naval fermé depuis 25 ans. Mais ces effluves nostalgiques agacent Antoine, qui se rebelle et entre en dissidence.
De ce scénario inspiré d’un reportage pour la télévision sur lequel avait travaillé Robin Campillo, co-scénariste, Cantet tire un thriller, un portrait sociologique vivifiant. On n’est plus « Entre les murs » d’une classe de collège difficile en banlieue parisienne, comme il l’avait filmé en 2008, mais il y a bien l’idée de filmer la parole de jeunes en difficulté autour de leur héritage social et culturel. L’idée de filmer des joutes verbales étonnantes de vitalité assez absentes, finalement, de l’espace public et médiatique. Cet atelier d’écriture n’est certes que le prétexte à ce que nous soyons témoin d’une démocratie en train de se faire.
Mais les rouages de l’exercice formel s’effacent pour laisser toute leur place à la mécanique de l’écriture du roman et à la spontanéité des jeunes apprentis littéraires. Sélectionnés pour la plupart lors de castings sauvages à la sortie de leur lycée ou dans des clubs de sports, les acteurs jouent en effet souvent leur propre rôle. Le cinéaste persiste et signe dans sa démarche de mélange entre réalité et fiction. Ainsi, Marina Foïs elle-même a un double rôle : celui d’une écrivaine parisienne reconnue face à des jeunes en quête de repères devant la caméra et celui d’une actrice également connue qui s’intéresse à des jeunes venus d’horizons plus ordinaires qui aiment ses films et jouent dans un film avec elle.
Héritage ouvrier
L’autre personnage majeur du film est le passé ouvrier de La Ciotat, symbole à la fois ouvrier et cinématographique s’il en est – l’un des premiers documentaires de l’histoire du cinéma, c’est L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat, des frères Lumière, en 1895. On pense à la lutte historique d’une poignée d’ouvriers du chantier naval qui, en octobre 1988, alors que tout le monde avait condamné la construction navale en Méditerranée, occupe le chantier. Ils tiendront dix ans sans faiblir et réussiront à sauver le site. À l’heure où les plans de licenciements se succèdent avec, souvent, pour seul résultat, l’obtention de meilleures indemnités, Cantet rend hommage à une lutte en forme d’épopée et de résistance héroïque. Il est loin ce temps là. Et pour le relier au présent et à la question, diffuse mais bien réelle, de la tentation d’une partie de la jeunesse pour les idées d’extrême droite, il emprunte la forme du thriller, avec des séquences nocturnes baignées d’une étonnante lumière de lune.
Pas d’étude sociologique mais l’auscultation par petites touches des méandres de l’adolescence masculine, du rapport au corps, au groupe, à la séduction, à sa propre solitude, au besoin d’intégration ou au contraire d’affirmation de soi. Et les effets de l’ennui sur une jeunesse qui se retrouve entourée d’écrans, de messages, d’annonces terribles comme celles qui tournent autour des réfugiés et des exilés de guerre, une jeunesse qui galère dans la fracture sociale et le chômage de masse, pour trouver sa place sous les injonctions implicites d'une réussite essentiellement financière. Dans ce contexte, la tentation de « tirer sur quelqu'un, juste pour que quelque chose se passe » émerge dangereusement.
L’Atelierréalisé par Laurent Cantet, 1 h 53.
Sortie nationale : le 11 octobre 2017