Des mots pour travailler la langue et les rapports sociaux
Le langage, son détournement, la propagande qu’il sert sont des enjeux idéologiques pour modifier le sens, modéliser et formater les pensées. Lire la suite
Le mot manque d'élégance mais il s'est diffusé largement, dans les textes juridiques comme dans la langue de tous les jours. Sécurisation a la même racine que le mot sécurité et renvoie donc une image de tranquillité, de protection contre le danger. En un mot, son sens est perçu « naturellement » comme positif. Ainsi, sécuriser sa maison, c'est la protéger. Sécuriser quelqu'un, c'est le « mettre en sécurité » et le garantir contre des événements qui pourraient lui causer un préjudice ou porter atteinte à sa vie ou à son intégrité physique.
Sécuriser une action, c'est éliminer ou minimiser les risques qui peuvent en résulter. Alors que le mot « sécurité » est ancien, celui de sécurisation est plus récent. Son utilisation est devenue très fréquente dans les débats sur les relations de travail, jusqu'à figurer dans le titre de nombreuses lois récentes, le dernier exemple en date étant l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail. Ne rejetons pas la nouveauté dans la pratique du langage, mais posons-nous la question : le mot « sécurisation » n'est-il pas piégeux ? Sa proximité avec l'idée de sécurité pourrait être un premier piège.
Qui irait plaider contre la sécurité ? Refuser le mot sécurisation reviendrait à revendiquer l'insécurité. Cela irait à l'encontre du sens commun. Voire relèverait de la folie ! Et nous voilà obligés d'adopter la « sécurisation »… Animés par notre méfiance habituelle, imaginons que l'emploi massif du mot « sécurisation » dans les relations de travail puisse cacher l'essentiel : qui cherche-t-on à protéger ? Le salarié (dans son emploi) ou l'employeur (contre le « risque » d'une contestation) ? Pour ajouter à notre perplexité, ce mot est utilisé dans l'expression « sécurisation des parcours professionnels » (pour protéger le salarié par une continuité de protection) et dans l'expression « sécurisation des relations de travail » (qui cherche avant tout à protéger l'employeur).
L'identité du mot escamote ainsi une différence politique radicale. Pas simple donc ! L'usage du mot dans le discours de l'employeur est trompeur. D'autant que pour lui la « sécurisation des parcours professionnels » doit être au service de l'employabilité et du marché du travail. Préférons donc l'expression « sécurité sociale professionnelle », qui attribue sans ambiguïté des droits au service de l'émancipation des travailleurs pour leur garantir un véritable statut du XXIe siècle.
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