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Quand la souffrance au travail devient business

12 avril 2019 | Mise à jour le 12 avril 2019
Par | Photo(s) : DR
Quand la souffrance au travail devient business

30 000 cas de burn-out par an, mais aussi 37,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires réalisé par des coachs, consultants, cabinets spécialisés ou assureurs sur le créneau de la souffrance au travail. Sylvaine Perragin, psychopraticienne et consultante en entreprises, dénonce un business de la souffrance et ses conséquences pour les salariés.

Sylvaine Perragin, après quinze ans en entreprise, est devenue psychopraticienne et, depuis une vingtaine d'années, reçoit en cabinet et intervient également dans les sociétés à la demande des organisations de salariés et de leurs institutions représentatives, ou bien des directions, pour des diagnostics sur les risques psychosociaux. Cette expérience lui donne l'occasion d'un essai, fourmillant d'exemples précis, sur ce qu'elle dénonce comme le « marché » des risques psychosociaux.

Un chiffre d'affaires de 37,5 milliards d'euros

Les chiffres rappellent l'ampleur et l'enjeu du danger qui pèse sur les salariés de nombre d'entreprises : chaque année, on dénombre 30 000 cas de burn-out, 3,2 millions de personnes en danger d'épuisement, et 400 suicides. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) considère le stress comme le premier risque pour la santé des travailleurs.

Mais la souffrance au travail génère aussi, pour des « coachs », des cabinets spécialisés ou des assureurs, un chiffre d'affaires de 37,5 milliards d'euros par an, selon les statistiques de l'Insee citées par l'autrice. Pour cette professionnelle, ces intervenants vendent surtout du « bien-être pour que l'entreprise soit encre plus rentable ». Et trop souvent au détriment d'une véritable analyse des causes spécifiques du mal-être et de préconisations efficaces.

Quand l'individualisation persiste

Nombre de chercheurs, de syndicalistes, de praticiens de terrain ont montré de longue date combien, dans les cas de souffrance au travail, peuvent être en cause l'organisation du travail, ou des objectifs inaccessibles, ou encore la dichotomie entre les ordres hiérarchiques et ce qu'à l'inverse impose l'éthique professionnelle et personnelle de salariés et notamment de cadres.

Pourtant, ce sont encore trop souvent les individus, leurs comportements, qui sont mis en cause, en particulier par « des cabinets RH, les plus gros consultants, proches, assure-t-elle, du pouvoir politique ».

Qui plus est, ajoute l'autrice, nombre de directions, parce qu'elles paient, considèrent pouvoir orienter les diagnostics ou les recommandations des cabinets, au détriment de leur nécessaire neutralité.

« Une thérapie version fast-food »

Sylvaine Perragin dénonce ici la nature des interventions de consultants et « coachs en tout genre », dont certains « se permettent de » bricoler » avec la psyché des salariés, allant jusqu'à proposer des interprétations psychologiques sauvages mêlant problématiques professionnelles et éléments de biographie intime. Se diffuse alors via le coaching, dit-elle, une vulgate psychologique, dogmatique, mécaniste, bardée de principes figés ».

Des formations infantilisantes sont également proposées.

Certains vont encore plus loin, en organisant « des prestations psychologiques par téléphone, chat, visio-entretien ou formulaire ». Et l'autrice dénonce « une thérapie version fast-food ».

Retrouver du sens

Comme nombre d'ergonomes, de chercheurs, d'acteurs de terrain, Sylvaine Perragin plaide pour que soient retrouvés « de la qualité, de la reconnaissance, du sens », au travail, quand il est trop souvent réduit au seul résultat, à une mesure individuelle de performance chiffrée. Elle prône notamment un « management comme soutien et non comme contrôle ».

Elle met aussi en cause la réduction des possibilités de sanctions du patronat lorsque celui-ci viole le droit du travail et les droits des salariés, et la moindre protection que leur assure aujourd'hui la loi.

Pour l'autrice, il est urgent de retrouver de « l'en-commun » contre l'isolement, de résister à la destruction des solidarités, de permettre aux salariés d'être de véritables acteurs.

Le salaire de la peine – Le business de la souffrance au travailSylvaine Perragin. Coédition Seuil/Don Quichotte. 192 pages, 16 euros.