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El Reino, thriller haletant du cinéaste espagnol Rodrigo Sorogoyen, s'inspire franchement des scandales de corruption qui ont bouleversé l'échiquier politique ibérique ces dernières années. Maîtrisé et décapant, le film couronné de 9 Goyas sort en France à la veille du scrutin législatif anticipé du 28 avril.
El Reino renvoie directement au contexte politique et social espagnol actuel. D'abord, il est sorti fin septembre 2018 en Espagne, trois mois avant que l'extrême droite fasse son apparition sur la scène politique régionale, fruit de l'alliance du PP (droite) et de Ciudadanos (centre) avec Vox (jeune formation d'extrême droite) pour gouverner l'Andalousie et mettre fin à trente-six ans de gouvernance socialiste (PSOE).
Ensuite, les Espagnols sont appelés à un scrutin législatif anticipé le 28 avril convoqué par le président du gouvernement, le socialiste Pedro Sánchez, face à l'impossibilité de faire adopter son projet de budget national en février dernier et donc de gouverner.
Dans ce contexte, les deux grandes centrales espagnoles — UGT (Union general de trabajadores) et CCOO (Comisiones obreras) — appellent à une participation massive au scrutin et exigent un tournant social dans un texte commun où figurent dix propositions inspirées par « l'humain d'abord ».
Le secrétaire général des CCOO, Unai Sordo, réclame en outre que les citoyens ne soient pas traités « comme des enfants qu'il faut distraire », seul moyen selon lui de « regagner le contrat social », « la crédibilité et la légitimité dans les institutions », ainsi que de barrer la route à l'extrême droite en Espagne comme en Europe.
Manuel López-Vidal est un homme politique espagnol influent dans sa région. Mais alors qu'il est promis à un brillant avenir — il doit intégrer la direction nationale de son parti — la machine s'enraye quand la police reçoit des preuves d'un vaste système de corruption dans lequel un de ses amis proches serait impliqué. L'affaire ne tarde pas à remonter jusqu'à lui. Pris au piège, il plonge dans un engrenage infernal. Car malgré l'évidence, il n'est pas question une minute de reconnaître sa culpabilité individuelle.
Inspiré de faits très réels et récents
Disons-le tout de suite, El Reino (Le royaume) s'inspire de façon assumée des scandales de détournement de fonds et de pots-de-vin du Parti populaire, sorte de feuilleton qui a rythmé la vie politique espagnole depuis une dizaine d'années et finalement fait tomber l'ex-Président du gouvernement, Mariano Rajoy.
« La corruption politique en Espagne — et surtout, la totale impunité dans laquelle vivent ses leaders depuis une dizaine d'années — nous a laissés, ma co-scénariste Isabel Peña et moi, d'abord perplexes, indignés puis déprimés, et enfin presque anesthésiés, explique d'emblée Rodrigo Sorogoyen dans la note d'intention qui ouvre le dossier de presse du film. C'est la répétition des affaires de corruption de ces dernières années qui nous a décidés à raconter cette histoire ».
Opérations immobilières floues visant à enrichir des cadres corrompus du Parti et à financer les campagnes électorales, comptabilité parallèle écrite à la main dans des petits carnets…
Un polar haletant
La réalité dépasserait parfois la fiction ? Le deuxième long-métrage de Sorogoyen, couronné de neuf Goyas (l'équivalent de nos Césars), a bien sûr le mérite d'aborder de front les sujets de l'éthique et de l'engagement politique. Mais le tour de force est ailleurs. Pas de plaidoyer ou de scénario dénonciateur. Sorogoyen prend ouvertement le parti du film de genre et se lance dans un thriller tambour battant (presque littéralement tant la petite musique d'une minuterie devient lancinante).
En adoptant le point de vue du politicien accusé au lieu de celui des forces d'investigation, le cinéaste donne par ailleurs une envergure inattendue à son personnage. Un geste déstabilisant qui lui permet de sonder l'homme mais aussi de remonter, de l'intérieur et avec force détails, le fil d'une organisation entière et d'une supercherie presque institutionnalisée.
Mention spéciale à l'acteur Antonio de la Torre, qui endosse le rôle principal et participe de tous les plans avec une sobriété comparable à celle de son costume propret. Après une première partie très concentrée sur les dialogues, qui permettent la mise en place d'une intrigue à la fois minutée et documentée, la deuxième moitié du film devient plus spectaculaire dans l'action. Empoignades, vols, perquisition, dissimulation de preuves aux forces de l'ordre, courses poursuites, accidents de voiture, etc. Jusqu'à cette scène invraisemblable, dans une maison cossue d'Andorre, où des preuves matérielles sont simplement stockées dans une chambre fermée à clef.
Éléments de contexte
Autour de lui, le portrait de famille qui se dévoile est également très maîtrisé. Certains personnages renvoient directement à des politiciens liés aux scandales — Gürtel, Bárcenas, Bigotes — bien connus des Espagnols. Par petites touches, l'appareil médiatique fait également parti du tableau jusqu'à ce face à face final hypertendu où Bárbara Lennie, dans le rôle de la journaliste expérimentée, renonce à la grande interview télévisée bien huilée de l'accusé, pour lui poser la question que chaque citoyen a en tête : pensait-il à ce qu'il faisait ?
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