Télétravail : reprise poussive toujours en mode dégradé
Jusque-là, il restait une exception, une aspiration pour nombre de salariés usagers quotidien du numérique qui y voient une possibilité de travailler mieux, plus sereinement, sans perdre de temps dans les transports. Mais depuis des années, alors que les outils et les usages numériques se sont largement imposés, la mise en place du télétravail se heurtait à la mauvaise volonté d’un patronat qui traîne les pieds, refuse de négocier des accords de mise en place, de réviser ses méthodes managériales, rechigne à reconnaître un droit effectif à la déconnexion. Et, de ce point de vue, les grands groupes n’ont pas été exemplaires, pas plus que les services publics.
Avec la pandémie et le premier confinement, le télétravail est devenu une réalité pour des millions de salariés et est entré pour de bon dans les mœurs patronales et salariales. Mais cette entrée fracassante s’est hélas faite pour beaucoup de salariés « en mode dégradé », comme l’a révélé la CGT de l’encadrement (Ugict-CGT) dans une grande enquête publiée au printemps. Avec le reconfinement « light » de la deuxième vague épidémique, voilà que la ministre du Travail, Élisabeth Borne, répète sur tous les tons que « le télétravail est absolument indispensable ».
Incapable de mettre en œuvre une stratégie sanitaire claire, cohérente et socialement acceptée, le gouvernement se heurte à une remise en route poussive du télétravail, qui n’a pas été la norme au cours de la première semaine de confinement. Seuls 20 % des salariés français sont exclusivement en télétravail. Le taux monte à 30 % en Île-de-France, mais le travail sur site est resté la norme en régions, où 51 % des salariés se rendent encore tous les jours à leur bureau. La ministre du Travail a beau répéter que le télétravail est une « obligation » partout où il est possible, rien n’y oblige formellement les employeurs.
Bref, alors que la situation sanitaire est de plus en plus dégradée, « aucun droit opposable au télétravail ni sanction pour les employeurs n'ont été formellement mis en place », s’inquiète l’Ugict-CGT. « L'encadrement du télétravail n'a pas été amélioré alors que le premier confinement s'était traduit par un télétravail très dégradé. De nombreux cadres et professions intermédiaires sont confrontés à des refus de retour en télétravail. D'autres sont placés d'office en télétravail à temps plein alors qu'ils ou elles ne le peuvent pas d'un point de vue matériel », dénonce l’Ugict. C’est donc à nouveau le mode dégradé qui s’impose largement.
C’est dans ce contexte que les syndicats, en particulier la CGT, ont poussé cet été pour que le Medef ne se satisfasse pas d’un « constat partagé » sur le télétravail, mais accepte de négocier pour élaborer un cadre applicable à l'ensemble des entreprises par un accord national interprofessionnel réactualisant celui signé en 2005. Pressé par les syndicats unis sur cette exigence et par la gestion de la nouvelle vague épidémique, le gouvernement a enjoint patronat et syndicats de négocier, mais le Medef comme la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ont annoncé qu’ils ne souhaitaient pas un texte normatif qui infligerait des obligations supplémentaires aux employeurs.
Évidemment, on voit bien qu’un bras de fer risque de se jouer sur ce thème alors que se profile ce mardi 10 novembre une nouvelle séance de négociation. Pour la CGT, qui vient de gagner l'ouverture de ces négociations, « l'objectif est de compléter et renforcer l'ANI de 2005 sur des sujets comme le droit à la déconnexion, le volontariat et la notion de circonstances exceptionnelles, le droit syndical ou encore l'égalité femmes-hommes. En cette période de crise sanitaire, l'Ugict-CGT exige que le gouvernement mette en place un droit opposable au télétravail. »