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Économie

Dette : une restructuration est possible

24 décembre 2020 | Mise à jour le 11 février 2021
Par | Photo(s) : Milos Bicanski/Getty Images
Dette : une restructuration est possible

La crise du coronavirus a forcé la France, comme les autres états, à contracter de nouveaux emprunts, alourdissant la dette publique. Si l'emprunt sert à la solidarité et à l'investissement, il est urgent d'en préciser objectifs et modalités de remboursement.

« Il n'y a pas d'argent magique » : c'est ce qu'Emmanuel Macron, en visite au CHU de Rouen en avril 2018, répondait à une soignante qui l'interpelait en rappelant qu'« au quotidien, il y a des fermetures de lits dans les services, des fermetures de services faute de personnel. On a besoin de moyens, on a besoin de personnel. » Pourtant, le 12 mars 2020, à l'orée du premier confinement, le locataire de l'Élysée annonçait : « Tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés, et pour protéger nos entreprises, quoi qu'il en coûte ».

Depuis, le coût de la crise sanitaire pour les finances publiques est estimé à 186 milliards d'euros ; la dette publique (état, collectivités territoriales et Sécurité sociale) est dès lors montée à plus de 2 600 milliards d'euros (2 638,3 milliards d'euros au second trimestre 2020 selon l'Insee), soit 119,8 % du PIB en 2020 (pour un peu plus de 98 % en 2019) selon ce qu'a indiqué fin octobre le ministre de l'Économie Bruno Le Maire.

L'argent serait-il devenu magique ? Ou bien en réalité la décision d'emprunter et le niveau d'endettement dépendraient-ils de choix politiques ? Dès lors, à quoi ont été destinées et à quoi devraient l'être les sommes engagées ? Et qui doit payer la dette ?

Endettement : tout dépend des richesses créées

Après des années de rigueur budgétaire liée aux critères de Maastricht puis du Pacte de stabilité dans la zone euro (le déficit public ne dépassant pas 3 % du PIB et la dette 60 % du PIB), les gouvernements européens et la BCE ont décidé, en raison de la crise sanitaire, de passer transitoirement outre les critères budgétaires. À différentes échelles, les États européens ont donc emprunté pour faire face à la double crise de l'offre et de la demande.

En France, l'état et l'Unedic avaient dépensé pour le chômage partiel (indispensable pour nombre de salariés mais plafonné à 84 % du salaire) 22 milliards d'euros fin août, donc avant le second confinement, selon la Dares. À cela s'ajoutent pour l'état les aides aux TPE et les prêts garantis par l'État (PGE).

La collectivité assume aussi les retards de paiement et de cotisations des entreprises, et a avancé plusieurs centaines de millions de prêts aux entreprises qui ne parviennent pas à les obtenir des banques. Le gouvernement a également prévu une enveloppe de 20 milliards d'euros pour les grandes entreprises. En outre, la récession devrait atteindre environ 10 % cette année, soit une baisse de plus de 230 milliards d'euros qui va aussi affecter les caisses publiques.

Les chiffres d'endettement public sont-ils inquiétants ? « Tout dépend de ce dont on parle, rappelle Denis Durand, économiste et membre de la direction de la fédération CGT des finances publiques. D'abord, plus que le montant global d'une dette, on mesure un taux d'endettement par rapport au PIB, c'est-à-dire à la richesse produite dans le pays, qui dépend de l'emploi et de la productivité. Ensuite, tout dépend aussi de ce à quoi sert l'endettement. Si l'on veut construire un hôpital, explique-t-il, il va d'abord falloir payer la construction, les fournisseurs, la formation et les salaires des soignants et autres professionnels… Tout cela a un coût, avant d'avoir des effets positifs tant sur la santé de la population que sur le plan économique. Le crédit et l'emprunt sont donc nécessaires à l'investissement, pour le développement de services publics, pour le fonctionnement du pays… »

Marchés financiers contre banques centrales

Mais pour ce faire, les dettes des états sont contractées quasi exclusivement sur les marchés financiers (compagnies d'assurances, fonds d'investissements, voire multinationales…), les créanciers ayant pour principal objectif de rentabiliser leur portefeuille.

Il est possible cependant de faire autrement. Les banques centrales ont le pouvoir de création monétaire que rien ne limite, sinon leur capacité à garantir la confiance dans la monnaie.

Elles s'en servent massivement : « depuis le début de la crise sanitaire, la BCE a mis en circulation plusieurs milliers de milliards d'euros qui n'existaient pas auparavant », explique Denis Durand, rappelant que cela a servi à prêter aux banques mais aussi à racheter des titres aux organismes prêteurs. « Et les Bourses sont en pleine euphorie alors que l'économie est au plus bas », pointe l'économiste, pour qui les banques centrales devraient au contraire réserver leur pouvoir de création monétaire au développement notamment de services publics, sans passer par les marchés financiers.

Et contrairement à une idée répandue, c'est possible. Certes, selon les traités, elles ne peuvent prêter directement aux états, mais les banques publiques doivent être traitées à égalité avec les banques privées. Les banques centrales devraient donc pouvoir prêter à la Caisse des dépôts et consignations, ou aux banques publiques d'investissement…

Rendre la dette utile

L'argent ainsi dépensé a-t-il au moins été efficace ? Certes, il faut se réjouir du filet de sécurité que constitue le chômage partiel ou l'aide aux TPE ou PME en difficulté. Mais l'argent a été distribué aussi aux grands groupes, sans contrepartie et en particulier, sans interdire les licenciements et les PSE prévus de longue date se multiplient aujourd'hui avec des conséquences dévastatrices dans la sous-traitance.

« Il faut cesser de donner au capital et au contraire donner la priorité à l'emploi, à la formation… , insiste Denis Durand, non seulement dans les services publics, mais aussi dans le secteur privé. » Avec une attention particulière aux TPE et aux PME dans leur diversité : le syndicaliste plaide pour une solidarité financière des grands groupes vers la sous-traitance, pour que cesse le dumping social mais également pour que soient assurées des commandes et accordés des délais de paiement.

Les banques ont aussi un rôle à jouer, pour que ces PME et surtout TPE bénéficient d'un « montant massif de crédit, à des taux très bas voire négatifs, pour disposer d'une trésorerie suffisante pour tenir, payer les fournisseurs, préserver l'emploi, payer les salariés, préparer la sortie de crise en engageant les dépenses pour former à de nouveaux métiers, par exemple dans le bâtiment avec des exigences écologiques… »

Le 24 novembre, le ministère de l'Économie a annoncé qu'il allait créer un groupe de travail (avec, notamment, l'ancienne présidente du Medef Laurence Parisot ou les anciens ministres Jean Arthuis et Marisol Touraine…) chargé de réfléchir au remboursement de la dette « supplémentaire » générée depuis le début de la crise du Covid. Il envisage de la « cantonner », c'est-à-dire à l'isoler et d'en sécuriser le remboursement par des recettes spécifiques.

Mais il se refuse à toute révision de la fiscalité, ce qui laisse craindre de nouveau une politique de coupes claires dans les budgets publics et d'austérité — au nom des générations futures et de l'image de rigueur à renvoyer aux agences de notation — à l'instar de la cure imposée après la crise financière de 2008 et du soutien financier de l'état aux banques.

« Il est en réalité possible de restructurer la dette, analyse Denis Durand. Cela peut passer, comme le propose la CGT, par son évolution en dette perpétuelle, donc sans remboursement du capital, les créanciers ne touchant que des intérêts très faibles, voire nuls. » C'est d'autant plus possible qu'une part essentielle des dettes est détenue par les banques centrales et la BCE.

« Quant aux détenteurs privés, pour le syndicaliste, il est légitime qu'ils subissent une perte après avoir grassement profité, depuis quarante ans, de la spéculation sur les dettes publiques. Mais se contenter de cela serait très insuffisant » plaide l'économiste, pour qui le plus important, c'est que la création monétaire des banques centrales finance les dépenses pour le développement futur des services publics. Et du pays.

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