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CULTURE

Scènes de luttes

22 avril 2021 | Mise à jour le 22 avril 2021
Par | Photo(s) : Bapoushoo
Scènes de luttes

Défense de la culture, mais aussi du droit au travail de celles et ceux dont c'est le métier, des droits de tous les privés d'emploi et précaires. C'est à la croisée de ces revendications que se retrouvent les occupantes et occupants de quelque cent lieux culturels en France, dans le cadre d'une mobilisation entamée au théâtre parisien de l'Odéon, le 4 mars dernier.
Appel interfédéral CGTAppel de plusieurs organisations CGT à manifester le vendredi 23 avril pour l'emploi, la protection sociale et le retrait de la réforme d'assurance chômage.

Quelque cent théâtres, centres de danse et autres lieux de culture occupés : depuis le 4 mars dernier, où la CGT Spectacle a entamé l'occupation du théâtre de l'Odéon à Paris, le mouvement ne cesse de s'étendre dans tout le pays. Depuis un an, artistes et techniciens, travailleuses et travailleurs de la culture, mais aussi guides-conférenciers, élèves d'écoles d'art dramatique inquiets pour leur avenir, intermittents ou non, avec ou sans papiers… subissent la fermeture des lieux culturels et l'annulation des spectacles et festivals.

Le 4 mars, à l'appel de la CGT Spectacle (Fnsac), ces professionnels de la culture ont décidé d'occuper le théâtre parisien de l'Odéon et organisent des agoras pour débattre de l'avenir de la culture et des droits de tous les intermittents de l'emploi, de tous secteurs. Et le mouvement fait tache d'huile.

« Face à l'engorgement des hôpitaux, conséquence d'une casse systématique du système public de santé, le choix du gouvernement est clair : il privilégie la production, les lieux de grande consommation, tandis qu'il maintient fermés les lieux de vie, de création et de sociabilité », ont rappelé les occupants de l'Odéon dès le premier jour alors que le 2 mars, Élisabeth Borne, ministre du Travail, annonçait, en dépit de son rejet unanime par les organisations syndicales, et en dépit de la pandémie, la mise en œuvre au moins partielle de la « réforme » de l'assurance-chômage au 1er juillet prochain, laquelle réduit encore plus les droits des privés d'emploi.

Réclamant la réouverture des lieux culturels dans le respect des règles sanitaires, les militants veulent aussi pouvoir vivre de leur métier, et exigent l'abrogation de la « réforme » de l'assurance-chômage, ainsi qu'une « une prolongation de l'année blanche, son élargissement à tous les travailleurs et travailleuses précaires, extras et saisonniers entre autres […] ».

Tous ensemble contre la précarité

La pandémie a plongé dans le chômage des milliers de travailleurs du secteur culturel. Mais aussi leurs collègues, extras de la restauration, professionnels de l'événementiel, gardiens de festivals, personnels d'accueil… Lesquels ne bénéficient pas de « l'année blanche » obtenue par les intermittents du spectacle, pas plus que les primo-demandeurs d'emploi ou toutes celles et tous ceux qui n'ont pas réussi à cumuler suffisamment d'heures de travail pour « ouvrir des droits ». Les plans sociaux, eux, se multiplient, jusque dans les entreprises du CAC 40, qui bénéficient pourtant d'aides publiques et continuent de verser des millions d'euros à leurs actionnaires.

La lutte contre la précarité, pour de nouveaux droits sociaux, s'est ainsi imposée comme l'un des thèmes majeurs de débat lors des agoras que tiennent tous les jours celles et ceux qui occupent le théâtre de l'Odéon, explique Karine Huet, accordéoniste et secrétaire générale adjointe de l'Union nationale des syndicats d'artistes musiciens (Snam-Cgt), par ailleurs l'une des organisatrices du mouvement. Et cette bataille est au cœur des occupations sur tout le territoire.

« Nous, occupants et occupants des lieux de culture, affirmons que notre lutte dépasse les revendications du secteur culturel et appelons à la mobilisation générale contre le projet de “réforme” de l'assurance-chômage », soulignent les militants dans un communiqué commun. Rappelant que « la gestion de la crise sanitaire empêche des millions de personnes de travailler » ; que « plus d'un chômeur ou chômeuse sur deux n'est pas indemnisé » ; que « le chiffre historique de dix millions de pauvres a été dépassé », ils dénoncent le fait que « le gouvernement impose une “réforme” de l'assurance-chômage d'une violence inouïe » et se disent « déterminés à obtenir son retrait définitif. »

Un vendredi de colère pour les droits sociaux

Pour l'abrogation de la « réforme » de l'assurance-chômage

Dès 2018, on s'en souvient, le gouvernement avait fixé un cadre à la négociation entre patronat et organisations syndicales sur l'assurance-chômage : réaliser une économie de 1 à 1,3 milliard d'euros par an. S'appuyant sur l'absence d'accord entre patronat et syndicats, le gouvernement avait repris la main en 2019 et décidé d'une « réforme » qui modifie le mode de calcul du salaire journalier de référence, lequel définit le montant de l'allocation chômage, dès lors considérablement réduit.

Le texte limite aussi encore plus la possibilité des privés d'emploi d'ouvrir des droits (en augmentant la durée de cotisation préalable). Autant d'attaques directes contre toutes celles et tous ceux qui subissent la discontinuité de l'emploi. La « réforme » prévoit également une dégressivité des allocations, touchant en particulier les cadres.

Contraint de suspendre un temps la mise en œuvre de son projet du fait de la crise sanitaire, le gouvernement veut qu'elle entre en vigueur dès le 1er juillet prochain, notamment quant à la modification du calcul du salaire journalier de référence. Seul aménagement prévu : l'introduction d'une clause de « retour à meilleure fortune » – baisse d'au moins 130 000 demandeurs d'emploi en catégorie A au cours des six derniers mois, et 2,7 millions de déclarations préalables d'embauche de plus d'un mois sur quatre mois consécutifs –, qui conditionnerait la mise en œuvre du durcissement des règles pour l'ouverture des droits.

Selon les dernières projections de l'Unédic, la réduction des droits des privés d'emploi affecterait non pas 800 000 d'entre eux comme l'avait annoncé le gouvernement, mais 1,15 million. En revanche, le « bonus-malus » s'appliquant à la cotisation patronale dans les secteurs utilisateurs de contrats précaires ne serait mis en route qu'en septembre 2022. Dans le contexte de précarité grandissante, la CGT a annoncé attaquer de nouveau la « réforme » devant le Conseil d'État.

« Notre combat pour voir prolonger l'indemnisation chômage des artistes et des techniciens du spectacle est intimement lié à celui des autres privés d'emploi et précaires », insiste donc la CGT Spectacle, qui plaide pour la solidarité interprofessionnelle du régime de l'Assurance chômage. Et rappelle l'importance de la revendication syndicale d'une vraie sécurité sociale professionnelle, avec des droits individuels, quels que soient les aléas de la vie, garantis collectivement.

Aussi, la CGT réclame-t-elle « une seconde année blanche et la défense des droits sociaux des professionnels de la culture, et le retrait des décrets gouvernementaux réformant l'assurance-chômage ». Elle rappelle la nécessité de garantir les droits aux congés maladie et maternité pour les salariés en situation d'emploi discontinu, d'ouvrir des droits aux primo-demandeurs et à celles et ceux que la crise a privés de la possibilité d'en acquérir, et de mettre en place des mesures de soutien pour les étudiants contre la précarité.

Reprise des activités culturelles et plan massif de soutien à l'emploi

Le 31 mars, Emmanuel Macron a annoncé, une nouvelle fois sans avoir consulté le Parlement, le renforcement des mesures sanitaires censées répondre à la nouvelle accélération de la circulation du virus, alors même que la vaccination de la population tarde à se généraliser faute de moyens. Il a en même temps avancé l'hypothèse d'une réouverture de certains lieux de culture et des terrasses à partir de la mi-mai.

Pour la CGT Spectacle, la réouverture des lieux culturels, la reprise des spectacles et même de festivals dans des conditions sanitaires adéquates est importante et elle doit permettre « à tous les artistes et techniciens de reprendre le travail ». Mais du fait de jauges restreintes, de l'annulation de nombre de festivals et de représentations de spectacles vivants, ou encore des centaines de films qui attendent de pouvoir être projetés, un plan massif de soutien à l'emploi doit être adopté.

« Alors que l'éventualité d'une saison culturelle comparable à ce que vit notre pays chaque été n'est plus envisagée par personne, nous demandons que l'État et les collectivités territoriales s'engagent à déployer un vaste plan de soutien à l'emploi artistique », précise la fédération CGT du spectacle pour qui « le financement d'un tel plan serait le pendant des aides massivement versées aux entreprises depuis un an, et qui ne produisent quasiment aucun ruissellement sur les artistes et les techniciens intermittents du spectacle. Outre la compensation des baisses des revenus des professionnels, un tel plan aurait pour effet le renflouement des caisses sociales du secteur en grave crise. » La fédération demande aussi l'ouverture de lieux de résidence d'artistes, écrivains… et du plus grand nombre de salles possibles pour démultiplier les lieux de spectacle.

Le 11 mars, le gouvernement a annoncé que 20 millions d'euros supplémentaires, en plus des 30 millions d'euros prévus dans le plan de relance pour 2021, seront « mobilisés pour soutenir les équipes artistiques en région, aider les plus fragiles, préparer la reprise qui se profile, mais aussi accompagner les jeunes diplômés qui commencent leur carrière dans des conditions particulièrement difficiles », selon les propos de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture.

Le fonds d'urgence spécifique de solidarité pour les artistes et les techniciens du spectacle (Fussat), destiné aux intermittents qui ne peuvent bénéficier de l'année blanche, sera quant à lui réabondé de 10 millions d'euros. Une aumône, a dénoncé Denis Gravouil, secrétaire général de la Fnsac-CGT « alors qu'il en faut au moins vingt fois plus ».

Démocratie et spectacles ouverts

Pour débattre de ces revendications, permettre l'expression du plus grand nombre, artistes ou non, intermittents de l'emploi de tout type d'entreprises, les théâtres se sont transformés en agoras. À l'Odéon, face aux banderoles annonçant « On ne joue plus, on lutte », réclamant l'abrogation de la « réforme » de l'assurance-chômage ou saluant les 150 ans de la Commune, la place se transforme chaque jour en lieu d'échange et de spectacle, tandis qu'ont lieu chaque semaine les « vendredis de la colère ».

Une pratique qui s'étend à d'autres lieux culturels occupés. Et que saluent les militants et grévistes d'autres secteurs, comme les métallurgistes de la SAM mobilisés pour leurs emplois ou les postiers, eux aussi dans l'action, depuis l'Aveyron ; les salariés de la raffinerie de Grandpuits, en Seine-et-Marne, invités à s'exprimer par téléphone au micro de l'Odéon ; les femmes de chambre d'hôtels parisiens témoignant de leurs luttes…

La démocratie qui s'organise à travers de multiples commissions, dans les lieux occupés et entre eux tous, est aussi gage de développement de cette convergence des luttes. Celles d'un printemps très occupé.

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