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CULTURE

Vers une continuité de revenus pour les artistes-auteur.ices ?

29 mars 2024 | Mise à jour le 2 avril 2024
Par | Photo(s) : Alexandre Biville
Vers une continuité de revenus pour les artistes-auteur.ices ?

Brochure pour une continuité de revenus des artistes auteur.ices ©SNAP-CGT

Depuis plusieurs années, des organisations représentatives des artistes-auteur.ices défendent une proposition : créer un revenu de remplacement pour les artistes-auteurs et les artistes-autrices temporairement privés de ressources, en intégrant ces derniers à la caisse de l’Assurance-chômage. Le 12 mars 2024, une proposition de projet de loi a été déposée dans ce sens sur le bureau de l’Assemblée nationale.
C’est l’histoire d’une proposition qui monte et qui, désormais, fait du bruit. En témoigne la tribune publiée le 25 mars dernier dans le journal Le Monde, signée par des grands noms de la culture, dont la réalisatrice Agnès Jaoui, l'écrivain Nicolas Mathieu ou encore la dessinatrice de bandes dessinées Pénélope Bagieu. Les signataires demandent l’ouverture de droits sociaux des artistes-auteur.ices à l’Assurance-chômage, afin de pallier la précarité endémique qui touche le secteur de la création. Ils et elles reprennent ainsi la proposition pour une continuité de revenus des artistes-auteur.ices, initiée par plusieurs organisations représentatives des professionnels du secteur, dont le SNAP-CGT, le collectif La Buse ou encore le STAA-CNT-SO. Portée par la commission culture du PCF, la proposition s’est frayée une première fois un chemin jusqu’à l’Assemblée nationale à la précédente mandature, sans toutefois parvenir à être examinée. Ce 12 mars 2024, une nouvelle proposition de projet de loi a été déposée à l’Assemblée nationale. « Maintenant, il faut que le texte soit examiné lors d’une niche parlementaire, explique Denis Lanoy, coordinateur de la commission culture du PCF. Cette proposition est soutenue par un très grand nombre d’organisations représentatives et par l’ensemble des métiers de la création. C’est assez nouveau. » Le texte a, par ailleurs, fait l’objet d’un soutien trans-partisan, et rassemble des députés de 8 groupes parlementaires sur les 10 que comprend l’Assemblée. « Nous avons bon espoir que le texte soit étudié à l’Assemblée dans les prochains mois » explique Clémence Mauger, membre du SNAP-CGT et du groupe de travail du syndicat sur la proposition.

Une précarité endémique

Le secteur de la création englobe un très large éventail de métiers : auteur.e, photographe, réalisateur.ice, peintre, illustrateur.ice… Difficile, d’ailleurs, de recenser avec précision le nombre de professionnels qu’il représente : le ministère de la Culture comptabilise 398 000 artistes-auteur.ices, quand l’Urssaf Limousin, l’organisme chargé de collecter les cotisations du secteur depuis 2019, en dénombre environ 270 000. La précarité de ceux et celles qui créent les œuvres, elle, est en revanche bien identifiée : selon le rapport d’activité de 2018 de la Maison des Artistes, en 2017, 53 % des artistes graphiques et plastiques ont perçu moins de 8 703 euros de revenus artistiques. Autre donnée : en 2021, les revenus artistiques médians étaient de 892 euros par an, contre 24 144 pour les salariés du secteur privé. Pour les femmes, la situation est encore plus rude : selon le rapport Racine, remis au ministère de la Culture en 2020, le revenu médian global des artistes plasticiennes est de 10 000 euros par an contre 15 000 pour les plasticiens. Résultat, un nombre significatif d’artistes-auteur.ices ont recours à l’ASS ou au RSA pour survivre.

Augmenter les cotisations des diffuseurs

C’est cette urgence sociale qui motive la proposition pour une continuité de revenus des artistes-auteur.ices temporairement privés de ressources. « Actuellement, différents modes de rémunération coexistent pour les artistes-auteur.ices, déroule Aurélien Catin, auteur et membre du collectif La Buse. Tout d’abord, ils et elles perçoivent des pourcentages sur l’exploitation de leurs œuvres à travers le droit d’auteur, source d’un droit patrimonial. Ensuite, ils et elles sont payés à la facture, dans une logique de travail indépendant. On touche également des aides à la création pour pallier la faiblesse des deux premiers modes de rémunération, ce qui revient à une forme d’assistance. » Depuis les années 1970, les artistes-auteur.ices sont également détenteurs de droits salariaux car ils sont rattachés à la Sécurité sociale pour l’Assurance-maladie, la retraite et les prestations familiales. La proposition vise ainsi à compléter ces droits sociaux par le rattachement des artistes-auteur.ices à la caisse d’Assurance-chômage, gérée par l’Unédic. Pour ce faire, la proposition reprend un mécanisme déjà à l’œuvre au sein de la Sécurité sociale : la conversion des revenus artistiques en heures SMIC. Le texte déposé à l’Assemblée nationale propose d’ouvrir des droits à l’Assurance-chômage à tout professionnel de la création qui pourra justifier de 300 heures SMIC dans les 12 derniers mois. Un plancher d’indemnisation est intégré au projet : les indemnités-chômage ne pourront être inférieures à 85% du SMIC. Pour financer cette continuité de revenus, la proposition prévoit l’augmentation de la cotisation patronale payée par les diffuseurs, c’est-à-dire l’ensemble des structures qui diffusent des œuvres créées par les artistes-auteur.ices : galerie d’art, maison d’édition, boîte de production audiovisuelle… À ce jour, elle se chiffre à 1,1% des revenus bruts des artistes-auteur.ices ; l’idée serait de l’augmenter pour lui adjoindre la cotisation patronale sur l’Assurance-chômage (4,05%), ce qui aboutirait à une cotisation de 5,15%. Selon les calculs du SNAP-CGT, cette proposition permettrait d’ouvrir des droits à l’Assurance-chômage à 76 000 personnes.

La création, un travail comme un autre

« Si l’on souhaite obtenir des droits, il est important de regarder le monde de l’art avec les lunettes du monde du travail, explique Clémence Mauger. En tant que créatrice, avoir un minimum de protection nous permettrait par ailleurs de reprendre les commandes dans le rapport de force avec les diffuseurs. Cela nous permettrait, enfin, de sortir d’une précarité qui formate nos vies : cela nous permettrait de nous projeter dans l’avenir, nous aiderait dans nos démarches pour trouver un logement, de pouvoir envisager un emprunt… »
Alors qu’une nouvelle offensive se prépare contre l’Assurance-chômage et les droits des personnes privées d'emploi, les porteurs de cette proposition entendent repolitiser la question de l’Assurance-chômage et rappeler son caractère émancipateur : « Nous souhaitons passer d’une posture de défense de l’Assurance-chômage à une démarche plus offensive, assure Aurélien Catin. Ils veulent réduire les droits pour tous ? Nous réclamons donc de faire entrer de nouvelles personnes dans le système. Peut-être ouvrirons-nous une brèche stratégique qui aura un effet d’entraînement. »