Où est passée la démocratie sociale ?
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«Notre responsabilité, c'est de traiter les questions sociales en même temps que les questions environnementales […] Ce qui nous fait vivre, manger, travailler, il faut y faire attention sinon on peut en mourir. » Ces propos de Philippe Martinez dans une récente interview à Aujourd'hui en France ont peut-être surpris ceux qui ne voient en la CGT que le dernier rempart d'un productivisme aveugle.
Mais l'équation n'est pas simple, car l'urgence de la fermeture d'une entreprise réduit souvent le syndicat à un rôle de « pompier social » qui, au mieux, pourra sauver les meubles en négociant un plan social. Intégrer la dimension industrielle, économique, politique, mais aussi écologique, pour créer le rapport de force nécessaire et contrecarrer les projets d'un capitalisme orienté vers le seul profit, c'est sortir des sentiers battus. La démarche implique un travail avec des acteurs nouveaux (syndicats, ONG, associations, population locale) et des alliances inédites.
Des expériences de luttes ont récemment vu le jour, notamment à la raffinerie Total de Grandpuits (Seine-et-Marne) ou encore pour la relance de la papeterie de Chapelle Darblay (Seine-Maritime), entreprise leader pour le recyclage du papier. Le combat est ardu et le résultat pas toujours à la hauteur des attentes. Mais laissée entre les mains du seul patronat, la question environnementale est réduite au rang d'exercice de communication, le fameux « greenwashing », comme le dénoncent avec raison les ONG. Ce concept marketing va jusqu'à être utilisé pour justifier la casse industrielle.
On ferme ici une industrie polluante, tandis qu'on la rouvre identique au bout du monde, mais dans des conditions sociales et environnementales bien plus dégradées. Ce n'est pas de cette façon, ni en réimportant de Chine ce que l'on ne produit plus en Europe que l'on réduira l'empreinte carbone de l'industrie mondiale. Pour autant, l'industrie évolue, les besoins aussi, et son indispensable décarbonation nécessite une transition dans laquelle le syndicalisme mondial a un rôle à jouer.
En juin dernier, la CGT a co-organisé un « Forum syndical international pour des transitions écologiques et sociales ». La richesse et la diversité des situations, les expériences syndicales rapportées ont montré tout l'intérêt d'échanger pour que les syndicalistes ne soient pas les spectateurs d'une transition industrielle mortifère, mais des acteurs à part entière.
La désindustrialisation de l'Europe, la mise en concurrence des salariés et l'utilisation de main-d'œuvre « low-cost », avec le dumping social subi par les travailleurs de l'automobile français, ont ainsi pu être mis en miroir avec la situation des travailleurs turcs de Bursa. Soumis à 48 heures de travail hebdomadaire, ce sont eux qui fabriquent désormais la Clio qui est réimportée massivement en France.
Pourtant, le cynisme patronal n'a pas de limites explique le syndicaliste de l'organisation Disk, Eyup Özer : « Récemment, le patronat de l'auto et du ciment ont sorti un rapport sur le mécanisme d'ajustement carbone qui va être mis en œuvre dans l'Union européenne. La Turquie n'a pas de quotas d'émission et on nous explique que ce mécanisme aura un coût et que pour cette raison les travailleurs doivent renoncer à certaines de leurs revendications. » En Corée du Sud, en revanche, on anticipe une hécatombe industrielle avec la fin du moteur thermique.
D'où une activité revendicative syndicale intense explique Lee Sung Lee du KMWU KCTU : « Nous estimons qu'il nous faut une convention collective nationale pour la transition industrielle et que les travailleurs puissent bénéficier d'une sécurité sociale, d'un filet contre le chômage. Nous devons donc exiger un accord de transition industrielle. Cette transition ne doit pas être laissée à la discrétion des seules entreprises, mais se faire de sorte à renforcer les droits des travailleurs et passer d'un mode de production qui ne vise que le profit à un système social où l'intérêt public est aussi pris en compte. »
L'affaire n'est cependant pas simple et le syndicaliste canadien Guillaume Valois (AIMTA) souligne la contradiction vécue dans son pays : « Les travailleurs ont beaucoup à perdre en acceptant de se mobiliser dans ces transitions. C'est une sécurité d'emploi qu'ils vont laisser derrière eux, des conditions de travail. Il est plus confortable de ne pas changer que de demander des changements pour le bien de l'environnement. »
Mais entre foncer dans le mur en silence ou porter des propositions syndicales, a-t-on le choix ? Pour l'Espagnol Carlos Camarero, secrétaire confédéral Santé-environnement des CCOO, il faut penser les évolutions, les nouvelles industries, l'économie circulaire et engager le dialogue au niveau national et européen pour ce qu'il appelle une « transition juste ».
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