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Économie

L’économie de la France va mieux, pas les Français

7 février 2022 | Mise à jour le 8 février 2022
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L’économie de la France va mieux, pas les Français

Manifestation unitaire pour l'augmentation des salaires, retraites, minima sociaux à Paris, le 27 janvier 2022.

En 2021, l'Hexagone a quasiment effacé l'effondrement de 8 % du PIB dû à la crise sanitaire de 2020. Pourtant, ce rebond de croissance ne se traduit pas sur le front de l'emploi ou des salaires. En dépit des satisfecit de l'exécutif, de plus en plus de Français sont confrontés à la précarité et l'austérité se profile.
Après s'être effondrée en 2020, l'activité économique française a rebondi dès 2021. La croissance s'est établie au niveau record de 7 % sur l'année, effaçant la chute de 8 % due à la crise pandémique. Digne des Trente Glorieuses, et très supérieur aux prévisions ministérielles ou de la Banque de France, ce chiffre s'accompagne d'un recul historique du chômage de 12,6 % en un an. « Cela prouve que la politique du gouvernement est efficace », s’est félicité le ministre Bruno Le Maire. « L’économie française tourne à plein régime et elle a une capacité de réaction forte », a-t-il assuré. C'est du moins ce qu'il aimerait nous faire croire à quelques semaines de l'élection présidentielle.

Alors qu'il a permis le retour de la croissance, le « quoi qu'il en coûte » risque d'être facturé aux Français

N’en déplaise à Bruno Le Maire, l'impressionnante rapidité de la reprise en 2021 ne s'explique pas par la solidité intrinsèque de l'économie française. Protégée par la politique du « quoi qu'il en coûte » voulue par le chef de l'État dès mars 2020, l'activité économique repart naturellement au fur et à mesure que l'étau de la crise sanitaire se desserre. En effet, les mesures déployées par les pouvoirs publics pour préserver le revenu des ménages et la situation financière des entreprises (chômage partiel, fonds de solidarité…) ont permis de nourrir deux des trois ressorts de la croissance : la consommation des ménages et l'investissement des entreprises (le commerce extérieur demeure au plus bas). Selon le ministre des Comptes publics, Olivier Dussopt, en 2021, le coût de l'opération est de 60 milliards d'euros de dépenses qui ont porté le déficit public à près de 7 % du produit intérieur brut (PIB) et la dette publique à plus de 110 %. Mais il ne se refait pas : alors que la période ressemble plus à une convalescence économique pleine d'incertitudes (inflation, remontée des taux d'intérêt, fragilité des chaînes d'approvisionnement…) qu'à une véritable embellie, il annonce d'ores et déjà qu'en 2022 le déficit sera ramené à 5 %, puis à 3 % en 2027. Nul doute qu'à l'instar des recommandations de l'OCDE, l'exécutif vise la réduction de la dette via de nouvelles mesures qui permettraient de tailler dans la dépense publique comme, par exemple, une « réforme des retraites ».

La croissance est tirée par les acteurs économiques en capacité d'investir et de consommer

D'une manière générale, la vitalité de la reprise économique a été nourrie par les acteurs économiques qui allaient déjà bien avant la crise. Le retour de l'investissement, qui dépasse largement son niveau de 2019 avec un rebond de 11,6 %, en est l'illustration. Du côté des entreprises, celles qui affichaient de bons résultats financiers ont pleinement profité de la période – et du « quoi qu'il en coûte » – pour renouveler leurs machines, s'équiper et accélérer leur transition numérique. Il en va de même pour les ménages en capacité d'épargner. Non seulement ils ont largement participé à tirer la consommation, mais, pendant la crise pandémique, leur bas de laine a explosé. Il a globalement atteint plus de 175 milliards d'euros qui ont été en partie investis, notamment dans l'immobilier. Ainsi, l'Institut national de la statistique note que, en 2021, la croissance a été particulièrement portée par la forte progression de la production des biens et des services (+ 7,4 %, après – 8,5 % en 2020). C'est, là, le résultat des investissements. Quant à la consommation des ménages, bien que contrainte par les restrictions sanitaires au premier semestre 2021, elle a renoué avec son niveau d'avant crise à la toute fin de l'année et enregistre une hausse de 4,8 % sur l'ensemble de l'année 2021, après un recul de 7,2 % en 2020. Toutefois, en raison des fortes tensions sur le prix de l'énergie, la consommation a marqué le pas en décembre pour ne progresser que de 0,2 %. Ce qui pourrait indiquer le retour de la crainte de l'inflation pour une grande majorité de Français.

La croissance se double d'une envolée de la précarité

Si l'économie française s'est refait une santé en 2021, les inégalités sociales se sont en fait creusées. Cela se vérifie sur le terrain de l'emploi avec une aggravation de la précarité. Certes, Pôle emploi décrit une embellie, mettant en avant la baisse de 12,6 % du nombre de demandeurs d'emploi en un an à travers la France entière (y compris les départements et régions d'outre-mer, hors Mayotte). C'est sans précédent depuis 2012, mais ne fait pas d'Emmanuel Macron « le président de l'emploi », comme a cru bon de s'en réjouir Élisabeth Borne, la ministre du Travail, le 26 janvier sur Twitter. En effet, en un an le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi en catégorie C a augmenté de 8,6 %. Ce sont des femmes et des hommes tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi et ayant exercé une activité de plus de soixante-dix-huit heures dans le mois. Ils occupent des CDD, des temps partiels subis, leurs conditions de travail sont souvent difficiles et restent demandeurs d'emploi en attendant de trouver un autre poste, celui qu'ils occupent n’étant pas durable. Donc, quand l'exécutif se vante du fait que le nombre de demandeurs d'emploi sans aucune activité (catégorie A) a baissé de 5,9 % au dernier trimestre 2021 par rapport au trois mois précédents, il omet de préciser qu'ils ont très probablement basculé en catégorie C. Autrement dit, l'emploi repart globalement à la hausse mais il s'agit pour l'essentiel de contrats précaires, d'emplois de mauvaise qualité.

Sans augmentations de salaires massives, la pérennité de la croissance est menacée

Dans un contexte où la production de richesse renoue avec son niveau antérieur, ce jeu de vases communicants entre catégorie A et catégorie C signifie, en toute logique, que, dans le temps, les entreprises ont recours à davantage de main-d'œuvre et multiplient les contrats. Non seulement leur productivité en pâtit (ce qui n'est pas bon pour la croissance) mais aussi, par conséquent, leur capacité à augmenter les salaires. Dans un contexte où l'inflation redémarre, il s'agit pourtant d'un facteur d'attractivité important. Or, les employeurs se plaignent depuis des mois de leurs difficultés à recruter. Il en va ainsi dans les secteurs de l'hôtellerie-restauration ou de l'action sociale. Cette contradiction s'enkyste et constitue une incertitude de plus qui menace la pérennité de la croissance. Les salaires et la préservation du pouvoir d'achat sont de plus en plus un motif de conflit social et étaient d'ailleurs au cœur de la journée nationale d'action interprofessionnelle du 27 janvier dernier, organisée par la CGT, FO, la FSU, Solidaires et des mouvements de jeunesse. Mais il existe une autre contradiction : alors que l'élection présidentielle approche, l'exécutif se gargarise de la vitalité de la croissance sans faire grand cas de celle du marché du travail. Plus largement, alors que des millions de Français sont à la recherche d'un emploi stable, le sujet n'est toujours pas un thème de la campagne électorale. Gageons que, dans les mois à venir, salariés et privés d'emploi sauront se mobiliser.

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