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LOGEMENT

Loi anti-squat : criminaliser les pauvres plutôt que lutter contre le mal-logement

16 avril 2023 | Mise à jour le 27 avril 2023
Par | Photo(s) : Claire Serie / Hans Lucas. France/AFP
Loi anti-squat : criminaliser les pauvres plutôt que lutter contre le mal-logement

Alors qu’une part croissante de la population rencontre des difficultés pour se loger dignement, la loi Kasbarian-Bergé entend durcir la répression contre les personnes occupant un bâtiment vacant et s’attaque aux locataires les plus précaires. La CGT, elle, alerte sur les risques de criminalisation de l’action syndicale.

Plus de quatre millions de personnes sont mal logées en France, 330 000 sont sans domicile, 100 000 autres survivent en habitation de fortune, 1,2 million de personnes peinent à payer leur loyer, 3,5 millions vivent en situation de précarité énergétique. Les chiffres du dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre sont alarmants. Pis, tous les indicateurs étudiés par l’association se sont dégradés depuis le dernier état des lieux.

C’est dans ce contexte qu’a été déposée, mi-octobre 2022, la proposition de loi des députés Renaissance Guillaume Kasbarian et Aurore Bergé. C’est la première loi relative au logement du quinquennat. Son but :« Protéger les logements contre l’occupation illicite ». Votée dans les deux chambres en première lecture et en deuxième lecture à l’Assemblée nationale au début du mois d’avril avec l'appui des députés RN, la proposition doit prochainement repasser devant le Sénat pour un second vote. L'entrée en application du texte devrait avoir lieu avant l’été. 

Une loi anti-pauvres

Renommé « loi anti-squat », le texte a réuni contre lui l’ensemble des associations luttant contre le mal-logement, qui dénoncent sa « grande brutalité sociale ». De son côté, le DAL dénonce « une loi anti-pauvres, qui promet toujours plus d’expulsions, de sans-abris et de répression. »« C’est un texte totalement régressif, alerte Noria Derdek, chargée d’études à la Fondation Abbé Pierre. Ce texte fait entrer massivement des victimes de la crise du logement dans le domaine de la délinquance. »

La Défenseure des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), de même que le rapporteur spécial de l'ONU sur le logement convenable et le rapporteur spécial sur l'extrême pauvreté et les droits humains, ont également fait part de leur malaise concernant le texte.

Loin de proposer des solutions contre la pénurie de logements abordables ou contre les logements insalubres, la loi entend lutter contre les squats, c’est-à-dire contre les occupations de bâtiments vides. Pour cela, la loi Kasbarian-Bergé crée un délit « d’occupation frauduleuse d'un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel », puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. « La création du délit de squat n’était pas nécessaire, car on pouvait déjà poursuivre certaines occupations de logement » souffle Noria Derdek.

En effet, le délit de violation de domicile réprimait déjà le fait de s’être introduit et de se maintenir dans le logement d’autrui. Pour cette dernière infraction, les sanctions encourues passent désormais d’une à trois années de prison et de 15 000 à 45 000 euros d’amende. En réalité, le nombre de petits propriétaires confrontés à des squatteurs occupant leur domicile est très faible : selon l’Observatoire des squats du gouvernement, les préfectures n’ont été saisies que de 170 cas en 2021. Un problème marginal, donc.

« On criminalise le fait de ne pas pouvoir payer son loyer »

Le nouveau délit a par ailleurs vocation à s’appliquer aux locataires en situation d’impayés de loyer et restés dans le logement à l'issue d’un jugement d'expulsion devenu définitif. Ces derniers risqueront désormais 7 500 euros d'amende. « Ces locataires, qui ne peuvent pas partir car ils ne parviennent pas à se reloger, deviennent des délinquants s’ils se maintiennent dans leur logement », déplore Noria Derdek. Une disposition inique, qui, loin de régler la précarité des ménages en incapacité de payer leur logement, les envoie tout simplement à la rue. Dans le même temps, plus de deux millions de personnes attendent toujours que leur soit attribué un logement social.

« Depuis vingt-cinq ans, on observe à la fois un renchérissement très important du coût du logement, et une paupérisation notamment des locataires » analyse Pierre Marec, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques, rattaché à Sciences Po. Selon les chiffres de la Dares, le salaire moyen de base a reculé de 2,1 % en un an au cours du quatrième trimestre. La faute à une inflation galopante et à des salaires qui ne suivent pas. Résultat : « le taux d’effort, c’est-à-dire le ratio entre le loyer et le revenu, augmente pour tous les ménages, mais plus nettement encore pour les locataires les plus fragiles », observe l’économiste.

« Les impayés de loyer augmentent, et l’immense majorité de ces cas concernent des gens qui sont en difficulté, observe Pierre Marenc. Or, au lieu de s’attaquer aux causes de ce phénomène, on criminalise le fait de ne pas pouvoir payer son loyer, tout en continuant à désolvabiliser les ménages ! C’est bien ce gouvernement, ou presque, qui a baissé les APL de cinq euros. Ce n’est pas de nature à aider les locataires à payer leur loyer… »

Une criminalisation de l’action syndicale 

Le DAL et la CGT ont par ailleurs alerté sur un autre risque inhérent au texte. Selon les deux organisations, les occupations d'usines ou de lieux de travail, de même que les piquets de grève à l’intérieur des locaux d’une entreprise peuvent tomber sous le coup du nouveau délit d' « occupation frauduleuse d'un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel ». Parmi d’autres dispositions, le texte prévoit, par ailleurs, de sanctionner de 3 750 euros d’amende l’appel à occuper un lieu appartenant à une entreprise, ou même la simple communication publique sur une telle action.

Pour Céline Verzeletti, chargée des luttes, de la répression anti-syndicale et des libertés publiques au sein du bureau confédéral de la CGT, « cette loi intègre des articles aux contours très larges qui vont permettre de réprimer les modalités d’action des militants des organisations syndicales, qu’il s’agisse d’occupation de lieux de travail, de grève, ou même d’organisation d’AG sur un lieu de travail. C’est une atteinte particulièrement grave à l’action syndicale, au droit de grève, au droit de rassemblement et de réunion ».

La Fondation Abbé Pierre n’entend pas en rester là. Dès le prochain passage du texte au Sénat, elle appellera à de nouveaux rassemblements aux abords de la chambre haute pour réclamer le retrait de la loi Kasbarian-Bergé. La CGT pourrait également rejoindre l’action.