Élior : diète sévère dans la restauration d’entreprises
Chômage partiel pour nombre de salariés, recours au télétravail pour d’autres… Les cantines et restaurants inter-entreprises (RIE) sont désertés. Et les entreprises de... Lire la suite
Ouvert tôt le matin et tard le soir, ce restaurant situé près de Châteauroux (Indre) brasse chauffeurs, habitués et touristes, et sert plus de 500 repas par jour. S'y installer, c'est observer le flux incessant d'une société toujours en mouvement. Un reportage paru dans le numéro 11 de la Vie Ouvrière.
Le monde est un village : on s'y croise le temps d'une escale dans un restaurant routier parmi les plus grands d'Europe. Sur les bords de la RN 20, près de Châteauroux (Indre), face à une ancienne base américaine devenue zone aéroportuaire, cette institution, dont l'existence remonte à 1937, sert en moyenne entre 500 et 650 repas par jour. S'arrêtent à L'Escale aussi bien des routiers en provenance de toute l'Europe, qui transitent sur l'axe Paris-Limoges-Toulouse, que des touristes et des gens du coin. Le fronton de l'établissement souhaite la bienvenue dans plusieurs langues, y compris en breton, en corse et en basque.
Assis en terrasse, Eric, contrôleur aérien, observe en professionnel le flux quasi incessant dans cet établissement ouvert de 5 heures du matin à 23 heures. Plus loin, Charlène, infirmière dans l'usine Barilla, à dix minutes de là, attend ses collègues pour fêter le départ de l'une d'elles. « On aime bien venir ici. Le personnel est sympa, on y mange bien. » Une brigade de policiers sort du resto. Ils reviennent d'une mission à Paris pour les Jeux olympiques, direction Périgueux : « On se refile l'adresse entre nous, ça nous fait une bonne escale. On dispose de 20 euros par repas. Le menu rentre dans les clous. Ici, le service est rapide, la nourriture est bonne, bien préparée, c'est copieux », vante l'un d'entre eux. Dans la salle « historique » se retrouvent des routiers esseulés. Invités à s'asseoir à la même table que leurs collègues, ces taiseux habitués à se croiser sur les routes évoquent leur métier, son évolution, la politique, forcément un peu…
Au départ, c'est pour eux que ce restaurant, situé près de la sortie 12 de l'A20, assure le service. Les camionneurs y trouvent non seulement le couvert, mais aussi des douches séparées pour hommes et pour femmes, un parking sécurisé gratuit pour ceux qui mangent sur place, une laverie, une station-service à proximité. L'Escale en chiffres, c'est la démesure : 600 places réparties côtés brasserie et restaurant ; 40 000 m2 de propriété ; 80 kilos de pommes de terre transformées quotidiennement en frites ; « 150 kilos de faux-filet, 30 kilos de rognons, 15 kilos de langoustines, 75 kilos d'huîtres par semaine… C'est-à-dire l'équivalent de 15 000 euros d'achat à la semaine », énumère Anthony Mercerais, responsable des achats, chargé de gérer les stocks au plus fin. Le homard représenté un peu partout rappelle que les clients viennent également ici pour déguster l'un des mets les plus prisés : les fruits de mer. On y apprécie aussi l'œuf à la parisienne, le hareng pommes à l'huile, la tête de veau sauce gribiche, les rognons de porc à la berrichonne, les moules et ses pâtisseries. « La performance de l'Escale, c'est de concilier à la fois le relais routier, qui implique de fournir un service rapide, et le label maître restaurateur, remis en jeu tous les quatre ans, et qui implique de cuisiner le maximum de produits frais », explique Dominique Thomas, fantasque propriétaire des lieux. « Tout est fait maison, de la terrine aux desserts, en passant par la soupe de poissons, les frites. Et la carte change tous les six mois », confient Laurent Benali et Nicolas Chapus, les deux chefs cuisiniers à la tête d'une brigade de 25 employés : chefs de partie, cuisiniers, plongeurs et apprentis. « Le label maître restaurateur implique de travailler le plus possible en circuit court. On s'approvisionne auprès de producteurs locaux pour la viande, les légumes et les fromages de chèvre. Les fruits de mer proviennent directement des ports de La Rochelle et de Bretagne », ajoute Anthony Mercerais.
La matinée est calme, chacun vaque à ses occupations. Arrivé le premier à 5 heures du matin, Franck Joisnot, vingt-huit ans de maison au compteur, en a vu défiler, du monde, au coin du zinc. Et du beau linge, encore ! « Les rugbymen du Stade Toulousain, l'ancien président François Hollande, Johnny Hallyday de passage lors d'une course Paris-Dakar… Il y a des habitués, Robert, Jean-Mi, qu'on connaît bien. » Retranché dans son laboratoire, le chef pâtissier Philippe Mauduit confectionne les cheesecakes, avec l'aide d'une apprentie. « On va en préparer 300, 400 parts », raconte celui qui a embauché un 1er mai, en 1995. « Je devais rester le temps d'une saison, je ne suis pas parti. J'aime bien l'ambiance de travail, on m'a toujours laissé toute latitude, ça me va bien. En dehors des intouchables comme le mille-feuille, le baba au rhum, la crème caramel, on change la carte deux fois par an, comme dans la haute couture. » Arrivé à 6 heures, le chef pâtissier finira son service à 15 heures.
Vers 11 h 30, la pression commence à monter et à midi, c'est le coup de feu. Salle et cuisine s'activent en tous sens. Chaud devant ! Sébastien Moreau, habituellement aux fourneaux, officie comme aboyeur. À lui de réceptionner les bons envoyés par les serveurs via un boîtier électronique et de répartir le travail parmi les cuisiniers. « Il faut être rapide, efficace. Il faut que ça sorte quand tu fais 400 couverts en deux heures trente », explique-t-il, entre deux commandes. « Une terrine en entrée, à suivre une saucisse de canard. En direct, quatre tartares, deux andouillettes. Allez, olé ! Une tarte en brasserie, à suivre une pièce du boucher à point ! » Les « ouais ! » fusent, preuve que les cuisiniers concernés prennent en charge la commande. « Chef, il n'y a plus de tartare ! » alerte une voix. « Ça arrive, le chef est dessus », répond une autre. « Attention, les assiettes sont chaudes ! » De l'autre côté du passe-plat, serveurs et serveuses défilent. « Attention, chaud devant !» avertit l'une d'elles, portant à l'épaule un plateau chargé de trois marmites de moules, avant de bifurquer dans la salle d'à côté. « Je reviens, je vais chercher mon hareng ! crie un serveur à une collègue qui a besoin d'un coup de main. Hé, Pascal, t'es au courant ? Il n'y a plus de moules ! »
Le rythme est soutenu, le personnel doit coller aux cadences imposées aux routiers, qui disposent de moins d'une heure pour déjeuner. Les employés aiment généralement la montée d'adrénaline que procurent ces pics d'activité. Tout au moins ceux qui restent. L'Escale emploie aujourd'hui 59 salariés. Le relais routier en a compté jusqu'à 90. Jusqu'en 2021, l'Escale restait ouverte 24 heures sur 24, 365 jours sur 365 et servait plus d'un millier de repas par jour. Son enseigne rouge, visible de loin, était un phare pour les noctambules qui sortaient des discothèques et des bals environnants comme pour les ouvriers qui travaillaient de nuit. Cette époque est révolue. Depuis la pandémie, faute de personnel en nombre suffisant, l'Escale a été contrainte de réduire ses plages d'ouverture et de fermer deux semaines en août. « Post-Covid, la fréquentation a baissé et, dans le même temps, les salariés qui n'avaient pas la fibre ne sont pas revenus. En salle, surtout, on a perdu pas mal de personnel. Les salaires ont été augmentés : à l'Escale, on est payé 39 heures pour 39 heures travaillées. Une serveuse ou un plongeur gagne 1 800 euros net, un cuisinier, 2 000 euros. Mais il faut accepter de venir travailler les samedis, les dimanches », témoigne Dominique Thomas, pour qui le recrutement est un casse-tête depuis deux ans et demi. Christelle Laloge, assistante de direction, fait le même constat : « Au moment du Covid, des employés ont retrouvé une vie de famille qu'ils n'ont plus voulu quitter. Aujourd'hui, certains ne veulent plus travailler le soir, ni en discontinu du fait des coupures. Et puis, l'Escale est excentrée et mal desservie par les transports en commun, ce qui n'arrange rien. C'est surtout côté service que ça coince, parce que, en cuisine, ce sont plus des métiers de passion. » À ces difficultés de recrutement, inhérentes à la restauration, s'ajoute la hausse du prix des matières premières et de l'énergie. En 2024, le chiffre d'affaires s'élevait à 4,5 millions d'euros, contre 7 millions en 2019. Le patron l'admet : l'Escale suppose un investissement moral et physique conséquent.
Vers 18 heures, le parking commence à se remplir de « gros culs ». Des 44 tonnes, qui roulent sous la bannière de leur entreprise (STBF, XPO Logistics, Demeco, Fedex…) ; leurs conducteurs, venus pour certains de Bulgarie, de Roumanie, d'Espagne… s'apprêtent à y passer la nuit en toute tranquillité. Le soir tombe, les uns, les autres se laissent aller à quelques confidences. « J'aime bien ici, je me sens en sécurité », raconte un Ukrainien, qui fait sécher son linge devant la cabine de son camion avant d'aller dîner. Yoann, sur les routes depuis cinq ans, a repéré le lieu grâce à une application recensant les adresses de restaurants routiers. « C'est la deuxième fois que je viens, je vais vider à Vichy. J'ai pris une douche : nickel. Maintenant, je vais dîner et je dormirai dans mon camion. » Descendu de son 44 tonnes chargé d'engrais, Sébastien doit vider sa marchandise dans un silo à dix kilomètres de là. En attendant, il est bloqué. « Cela fait vingt-huit ans que je mène cette vie, que je l'aime. Je roule régulièrement jusqu'en Espagne, en Hollande. Quand on est onze à quinze heures par jour seul dans le camion, cela fait du bien de s'arrêter pour manger avec les chauffeurs qu'on croise régulièrement. Il y a plein de routiers qui ferment, alors l'Escale, c'est précieux. Et dites bien à vos lecteurs que je suis biker, aussi. Mon surnom, c'est la Faucheuse ! » Est-ce le fait de voir passer des camions par milliers ? À ses rares heures perdues, Dominique Thomas, déjà auteur d'un ouvrage sur l'anthropocène, a réfléchi à un transport en commun individualisé qu'il a appelé Treci. Il a envoyé la maquette de son projet au président Macron, et même au pape François… Et ce dernier lui a répondu ! « J'ai réussi dans la vie. Mais si ce projet se concrétisait, j'aurais réussi ma vie », assure l'infatigable restaurateur. L'Escale est un village, rempli d'humanité.
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