17 mars 2025 | Mise à jour le 17 mars 2025
Les négociations annuelles obligatoires (NAO) ont déclenché des actions unitaires hebdomadaires dans l'ensemble du groupe Thales depuis deux mois. Des résultats historiques demeurent sans retombées positives sur les salaires, la R&D et l'emploi. Le 13 mars à Elancourt (78), ils manifestaient avec leurs collègues de Airbus Defense & Space.
Boycott des vœux de la direction, désertion des instances représentatives du personnel par l'ensemble des syndicats, barrages filtrants sur différents sites, actions multiples et débrayages chaque jeudi… La situation sociale est très tendue depuis décembre 2024, date du début des NAO dans tout le groupe Thales (83 000 salariés dans le monde, 45 000 en France). Avec des résultats historiquement hauts, un chiffre d'affaires de 20,6 milliards d’euros (+11,7 % en un an), des profits record et un carnet de commande qui bondit de 9% pour atteindre 50,6 milliards, la proposition d'une revalorisation de 1,5% n'est pas passée du tout parmi les personnels. Et les déclarations du PDG Patrice Caine du 4 mars dernier n'ont pas calmé le jeu : « Le niveau historique du carnet de commandes offre une visibilité sans précédent dans l'ensemble de nos activités (…) Cette performance historique est le fruit de l'engagement sans faille de nos 83 000 collaborateurs, que je remercie vivement pour leur mobilisation auprès de nos clients (…) Nous débutons ainsi 2025 avec confiance et détermination, bénéficiant de perspectives favorables dans la grande majorité de nos activités ». « Ils ont commencé avec une proposition de revalorisation de 1,5% puis sont passés à 2% et on reste bloqués là-dessus depuis de deux mois » rapporte Pierre Calvet, délégué CGT de Thales à Elancourt. « On n'a jamais atteint de tels résultats et les salariés n'ont jamais été aussi peu récompensés » ,déplore Pascal Boury, délégué CFE-CGC de Thales. « L'argent va dans les poches des actionnaires », ajoute Cyril Grandemange DSC Supper Thales. Même analyse de la part de Yves Colmeret, DS CFDT de Thales : « Avec de tels résultats, on réclame de meilleures rémunérations. » C'est donc une levée de boucliers unitaire qui explique que semaine après semaine les actions se répètent chaque jeudi chez Thales et tendent même à faire tache d'huile. Le jeudi 13 mars 2025, la VO s'est rendue à Elancourt dans les Yvelines.
Ca bouge à Elancourt
Elancourt a la particularité d'accueillir plusieurs entreprises de l'aéronautique et de la défense, dont deux sites distincts du groupe Thales, où travaillent environ 4000 salariés et un site de Airbus Defense & Space, qui emploie quelque 1500 salariés. Ce jour là, une action convergente devait rassembler les salariés des deux entreprises qui avaient décidé de défiler ensemble. Ils étaient environ 400 à sortir, ce qui est une très belle performance au vu des catégories concernées (essentiellement des ingénieurs). Une petite nuance toutefois, alors que chez Thales l'action était unitaire (CGT-CFDT, Supper, CFE-CGC, CFTC), seule la CGT appelait à sortir chez Airbus Defense & Space. Pascal Jaugeas DSC CGT Airbus Defense & Space explique : « Chez Airbus, ils ont annoncé 2500 suppressions de postes en Europe, 531 dans la branche Airbus Defense & Space et 115 à Elancourt. Ils ont ensuite convoqué les organisations syndicales pour un accord de méthode, c'est-à-dire pour leur faire accepter les suppressions de postes avec la menace d'en supprimer plus s'il n'y avait pas d'accord. Il en résulte une rupture conventionnelle collective avec gel de salaire et une prime comme lot de consolation. Nous ne pouvons pas accepter cela… » A Elancourt, c'est la première fois que les salariés d'Airbus se mettent en mouvement cette année, contrairement à ce qui se passe sur d'autres sites d'Airbus où des actions ont déjà eu lieu, notamment à Toulouse.
On pourrait s'interroger sur la pertinence d'une réduction des effectifs chez Airbus au moment même où l'entreprise peine à répondre aux commandes et que le président de la République annonce une augmentation sans précédent du budget de la défense. La réponse est… désarmante. « Nous avons posé la question en CSE, explique Frédéric Duten, élu au CSE central chez Airbus Defense & Space, Il nous a été répondu que nous ferons plus avec moins… »
Profit, politique industrielle et indépendance
Pour Pierre Calvet, de la CGT Thales, le problème vient des profits et dividendes versés. « Nous avons calculé que chez Thales, c'est l'équivalent de 1000 euros par mois et par salarié. Or ce que nous demandons, c'est que cela revienne dans les salaires, l'investissement, la R&D et la diversification des productions, pas seulement l'armement. Après l'humiliation de Zelinsky à la Maison Blanche, l'action Thales a pris 50% en une semaine. Par ailleurs, on a un groupe de plus en plus financiarisé et cela pose un problème d'indépendance. Thales, c'est pour un quart l'Etat et un quart Dassault, mais il y a aussi les 49% de parts flottantes avec une majorité d'actions qui sont aux mains de fonds de pension américains. »
Les syndicats CGT et CFDT de Thales ont adressé ce 10 mars 2025 une lettre ouverte* au Premier Ministre François Bayrou, au ministre des armées, Sébastien Lecornu et au ministre de l'Industrie, Marc Ferracci. Les syndicats déplorent que le groupe, qui a dégagé des résultats historiques et dispose d'un carnet de commandes rempli à ras-bord, s'est empressé de dépenser un milliard d’euros pour les actionnaires en 2024, tandis que les salaires, la R&D et les investissements sont laissés pour compte. Outre la question sociale et industrielle induite notamment par une sous-traitance hors d'Europe, se posent aussi des problématiques de souveraineté : « dans le contexte d'un monde multipolaire et toujours plus instable, où les amis d'hier ne le seront plus forcément demain, est-ce l'idée que vous vous faites de l'indépendance stratégique de la France et de l'Europe ? », écrivent la CGT et la CFDT du groupe Thales. La question dépasse largement Thales et Airbus, mais se pose dans tout le secteur de l'aéronautique et de la défense. Ces dernières semaines des actions importantes se développent aussi chez Safran avec une grève d'une ampleur inégalée qui a eu lieu la semaine dernière sur son site de Commercy (Meuse). Chez Safran, l'intersyndicale CGT-CFDT-CFTC s'oppose à un accord de compétitivité tout en dénonçant les profits records et une enveloppe limitée à 2,2 % pour les NAO. Aux mêmes causes, les mêmes effets.