En déambulant dans les couloirs sombres de l'exposition consacrée à la Collaboration aux Archives nationales, on entend des soupirs de consternation en découvrant son étendue, documents à l'appui.
Photo en Une
Quelques heures avant l'entrevue de Montoire, le 24 octobre 1940, le maréchal Pétain, Otto Abetz et Pierre Laval à la préfecture de Tours.
Crédit : Archives nationales/Rémi Champseit
et Jean-Yves Le Ridant.
Une chose est de savoir que cette sinistre période a existé, une autre est de découvrir son étendue, documents à l'appui. « Bien sûr, vous avez raison en ce qui concerne les juifs et les francs-maçons. J'en ai connu et c'est bien comme vous dites. J'en connais même encore dans ma maison » et l'auteur de cette lettre de dénonciation adressée à Robert Peyronnet, animateur à Radio Paris, le 7 septembre 1941, de citer les noms et l'adresse.
Pendant que nous lisons avec effroi la lettre manuscrite, la voix du maréchal Pétain résonne : «C'est dans l'honneur et pour maintenir l'unité française […] que j'entre aujourd'hui dans la voie de la collaboration », un discours prononcé le 30 octobre 1940.
LA COLLABORATION DANS TOUTES SES DIMENSIONS
Voyage du maréchal Pétain et de l'amiral Darlan à Villefranche-sur-Saône, avec les enfants sur le perron de la mairie en septembre 1941.
Crédit : Archives Nationales/Carole Bauer.
Le mérite de cette exposition est de nous montrer la diversité de cette Collaboration : politique et idéologique mais aussi économique, culturelle, policière et militaire. Et de parcourir le registre de recensement des juifs établi par le commissariat du 3e arrondissement de Paris le 16 juillet 1942 et utilisé par la Préfecture de police pour la rafle du Vel d'Hiv, de lire les avis de mise en vente d'un immeuble ou de deux cabinets dentaires appartenant à des « israélites ».
La haine contre les juifs, les francs-maçons et les communistes s'étale sur les affiches caricaturales, lors d'expositions, dans les brûlots de Céline ou de Lucien Rebatet et les journaux financés par l'occupant comme « Revivre. Le grand magazine illustré de la race » ou « Le Téméraire » pour la jeunesse. Des documents qui donnent la nausée comme l'exemplaire de « Au Pilori » du 14 mars 1941 où il est écrit que « le juif n'est pas un homme, c'est une bête puante ».
LES LIVRES INTERDITS ET MIS AU PILON
Comme le rappellent les historiens Thomas Fontaine et Denis Peschanski, commissaires de l'expo et auteurs de l'indispensable «La Collaboration 1940-1945, Vichy-Paris-Berlin », paru aux éditions Tallandier, la censure se met en place.
Des listes de livres interdits d'auteurs antinazis, anglophiles ou juifs, sont établis ; la « liste Bernhard», dressée par les services de la Propaganda Abteilung et ceux de l'ambassade d'Allemagne, publiée dès l'été 1940, comprend 143 titres. En octobre, une deuxième liste, énumère 1060 ouvrages. Au total, plus de 2 millions d'ouvrages sont saisis chez les éditeurs et libraires, pour être pilonnés.
On suit encore la création des partis collaborationnistes qui entendent mettre en place un régime fasciste en France : le Parti populaire français qui compte au départ 40 000 membres, dirigé par Jacques Doriot, que l'on voit vociférant à la Mutualité, le 6 juin 1941, devant une salle comble.
Mais aussi le Rassemblement national populaire de Marcel Déat ou encore le parti franciste de Marcel Bucard. La collaboration va plus loin et passe par la lutte armée via la Milice française ou la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, soutenue par Otto Abetz, ambassadeur d'Allemagne à Paris, qui part combattre sur le front de l'Est sous l'uniforme allemand.
PRODUIRE POUR LE REICH
Autre aspect évoqué dans l'exposition : la collaboration économique. Le 16 février 1941, s'ouvre ainsi au Petit Palais le Salon technique et industriel préparé par les services du commandant militaire allemand, Otto von Stülpnage. Il est conçu comme une vitrine des produits dont le Reich a besoin. Au total, 26 000 propositions de fabrication ont été déposées auprès du commandement militaire allemand par 10 000 entreprises françaises.
Plongés dans ces années noires, on aurait tendance à penser que la majorité des Français étaient collabos. Or, comme le rappellent Denis Peschanski et Thomas Fontaine, ni la légende noire, ni la légende rose du « tous résistants » ne sont valables, mais une masse de Français oscillant entre accommodation et résilience.
Une expo et un livre à méditer quand les vieux démons reviennent.
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Exposition « La Collaboration. 1940-1944 », jusqu'au 2 mars, aux Archives nationales de Paris, 60, rue des Francs Bourgeois, 75003 Paris.
A lire : «La Collaboration 1940-1945, Vichy-Paris-Berlin », de Thomas Fontaine et Denis Peschanski.
Editions Tallandier, 304 pages, 39,90 €.