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FINANCE

Le bras de fer de Bretton Woods

30 mai 2014 | Mise à jour le 2 mai 2017
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Le bras de fer de Bretton Woods

En juillet 1944, la conférence de Bretton Woods réunissant quarante-cinq pays alliés accouchait 
d'un nouveau système monétaire international. L'aboutissement de deux ans de négociations acharnées entre les États-Unis et l'Angleterre. Retour sur un bras de fer, qui éclaire bien des difficultés d'aujourd'hui.

Quand, le 1er juillet 1944, s'ouvre la conférence de Bretton Woods, le sort de la guerre est déjà scellé. C'est l'après-guerre que l'on prépare. Si 44 pays alliés – et l'Union soviétique comme observateur – sont réunis au pied du mont Washington dans le New Hampshire, c'est pour jeter les bases d'un monde nouveau. Plus sûr, plus juste, plus efficace.

Un nouvel ordre économique international qui devait tout à la fois assurer la paix, permettre la reconstruction des économies dévastées par la guerre et retrouver le chemin de la croissance, de la prospérité et du progrès. Cette préoccupation est certes partagée de part et d'autre de l'Atlantique. Mais les États-Unis jouent un rôle déterminant dans sa promotion, avec un souci principal : ne pas dissocier maintien de la paix et liberté du commerce. Une philosophie que le secrétaire d'État américain, Cordell Hull, résuma en une phrase : « Là où les marchandises ne peuvent passer, les armées, elles, le peuvent. »

C'est dans ce cadre que s'inscrit Bretton Woods. On en connaît les résultats. Les accords permirent d'établir des règles communes en matière de change et d'équilibre de la balance des paiements, de mettre en place un système multilatéral de règlement des transactions internationales, de créer un fonds de réserve auquel les pays pouvaient avoir recours en cas de nécessité (le FMI) et une banque de reconstruction et de développement (BIRD).

Ce fut aussi la mise en place du « Gold Exchange Standard » (étalon de change-or), qui fixait la valeur du dollar en or et qui définissait toutes les autres monnaies par rapport au billet vert. Un privilège d'autant plus exorbitant que l'administration américaine n'aura de cesse de faire jouer au dollar un rôle beaucoup plus important que prévu par les Accords. Avant que par défaut, on passe d'un système d'étalon de change-or à un système d'étalon-dollar.

UNE VISÉE, DEUX PLANS

C'est aussi ce qu'on appela la victoire du plan White – présenté par les États-Unis – sur le plan Keynes – présenté par l'Angleterre. Une présentation trompeuse puisque jamais les délégués n'eurent à choisir entre un plan Keynes et un plan White. Car Bretton Woods fut une mise en scène soigneusement orchestrée. Il y eut bien des discussions et des amendements aux textes proposés. Mais l'essentiel était joué. Depuis 1942, les États-Unis et l'Angleterre négociaient pied à pied et c'est un compromis anglo-américain qui fut présenté à la conférence.

Ce sont les Anglais qui tirèrent les premiers. Dès septembre 1941, Keynes livre une première version de son projet de réforme du système monétaire international. Son objectif principal, mettre en place un mécanisme expansionniste en procurant au monde les liquidités nécessaires pour favoriser la croissance.

Le plan préconise la « multilatéralité » des échanges à l'échelle mondiale et propose des mécanismes visant à faciliter la réalisation de l'équilibre des balances des paiements. Keynes est convaincu qu'une des raisons majeures des crises financières est le déséquilibre des échanges entre pays. Le trait de génie de Keynes est d'inverser le raisonnement habituel qui veut que ce soit au pays débiteur de porter tout le fardeau et de trouver les moyens d'équilibrer sa dette. Il souligne au contraire qu'il faut accroître la responsabilité des pays créditeurs dans le nouveau système monétaire international.

Tout l'art de Keynes consiste donc à trouver un système qui, sans dédouaner les pays débiteurs, persuade les pays créditeurs de prendre leur part dans le retour à l'équilibre en dépensant leurs excédents au sein de l'économie des pays débiteurs. On mesure, à ce qui se passe aujourd'hui en Europe, l'audace d'une telle position.

UN TEXTE AUX ANTIPODES D'UN NOUVEL ORDRE
MONÉTAIRE INTERNATIONAL

Techniquement, Keynes propose la création d'une « chambre de compensation internationale », véritable préfiguration d'une banque centrale mondiale, et une monnaie de compte internationale, le « bancor », non convertible, ni en or ni en monnaie nationale. Il ajoute à ce dispositif un mécanisme qui vise à inciter tous les pays, déficitaires comme excédentaires, à ne pas trop s'éloigner de l'équilibre de leurs échanges.

Un mélange de solidarité et de pénalités – pour les trop déficitaires comme pour les trop excé­dentaires –, dont Keynes espère qu'il amorcera une expansion régulière, équilibrée et juste, de l'économie mondiale. Enfin, il prend soin de préciser qu'un tel système ne peut fonctionner qu'avec « un contrôle des mouvements de capitaux [qui] devra être une caractéristique permanente du système d'après guerre ».

L’ORIGINE DU FMI

Côté américain, la démarche est plus classique. En juillet 1942, l'ébauche d'un plan de réforme du système monétaire international, préparée par le Trésor américain et signé Harry Dexter White, prévoit la mise en place d'un fonds de stabilisation sur la base de dépôts des pays membres – ce qui deviendra le FMI – et la création d'une banque de reconstruction qui deviendra la Banque mondiale. Il met l'accent sur la stabilisation du taux de change et l'abolition des pratiques restrictives en matière commerciale et ne se préoccupe guère des perspectives de long terme qui doivent être assurées par le retour au libre-échange. Bref, le projet d'ordre mondial qu'il dessine promeut le libre-échange et la libre convertibilité des monnaies.

UNE NÉGOCIATION À SENS UNIQUE

La confrontation des deux plans sera rude. Le projet de Keynes rencontre l'hostilité des Américains. Quant à Keynes, il estime le plan White « rempli de bonnes intentions » mais juge les moyens d'action proposés « déplorables, ce qui le voue à l'échec ». Il n'en est pas moins prêt au compromis et sait déjà que celui-ci se fera majoritairement dans les termes américains.

Après sept versions, le plan White est officiellement transmis à l'Angleterre en février 1943. C'est le véritable début de la négociation de Bretton Woods.

Elle ne se fera qu'à sens unique. Keynes rédige en juin une synthèse des deux plans. Il y concède aux Américains le principe des souscriptions, la limitation de la responsabilité des créanciers, le fait qu'aucun pays ne peut être contraint de dévaluer ou de réévaluer la valeur-or de sa monnaie, la formule pour les quotas et les droits de vote au FMI et la forme générale du fonds de stabilisation…

Entre le 15 septembre et le 9 octobre, les délégations règlent six des treize points de désaccords identifiés. Les autres seront négociés entre octobre 1943 et avril 1944. Keynes ne parviendra à préserver que le contrôle des mouvements de capitaux et la liberté pour les États de mener la politique économique de leur choix à l'intérieur de leurs frontières…

L'accord final sera très proche du compromis d'avril. Il constitue pour Keynes un soulagement et un immense paradoxe. Cet accord, il en est l'artisan principal. Mais, dans le même temps, le texte est à ce point éloigné des intentions exprimées dans ses premières ébauches, tellement aux antipodes d'un nouvel ordre monétaire international qu'il voulait avant tout favorable au plein-emploi, à la réduction des inégalités et à la croissance qu'on peut s'interroger sur ce qu'il reste des principes au bout de tant de concessions…

ET LES BRITANNIQUES INVENTÈRENT L’EUROMARKET…

Encore Keynes ne vit-il rien de l'évolution ultérieure des institutions nées de Bretton Woods, dont les pratiques les éloigneront toujours davantage de l'esprit des accords. Il ne sut rien non plus du coup fatal que la Grande Bretagne, la première, porta au respect des accords en matière de contrôle des mouvements de capitaux, en créant, en 1957, au cœur même de la City, une place dérégulée, l'Euromarket, où les capitaux étrangers et dépôts en dollars pouvaient, en toute liberté, se livrer à toutes sortes d'opérations profitables. L'Euromarket, qui aurait dû être cassée au plus vite, finit au contraire par l'emporter. La bascule se fit de l'ordre des nations à l'ordre des marchés. Et cette fois-ci sans aucune négociation…

EN SAVOIR PLUS
Voir le n° 26 de la revue Interventions économiques, publié en 1994. L'article de Christian Deblock et Bruno Hamel, « Bretton Woods et l'ordre économique international d'après guerre », en donne une vue synthétique, et celui de Gilles Dostaler, « Keynes et Bretton Woods », retrace l'élaboration du plan Keynes et les discussions anglo-américaines. Disponibles sur le site :

www.uqac.uquebec.ca