Un anniversaire sous la menace du réarmement
Le 6 août 1945, à 8 h 15, le bombardier américain Enola Gay lâchait sur Hiroshima une bombe à l'uranium 235 de 15 kilotonnes – l'équivalent de 15 000 tonnes de TNT –, baptisée du doux nom de Little Boy. Le champignon atomique, visible à 500 km à la ronde, atteignit 10 000 mètres d'altitude en deux minutes. La ville fut entièrement et instantanément détruite. Plus de 75 000 personnes furent tuées sur le coup, des milliers d'autres moururent dans les semaines qui suivirent. Sans compter les conséquences médicales à long terme de l'irradiation.
Trois jours plus tard, le 9 août, c'était au tour de Nagasaki, l'un des plus grands ports du sud du Japon, de connaître l'enfer. La bombe, au plutonium cette fois, était encore plus puissante (17 kilotonnes) et le même scénario se reproduisit, à peine moins meurtrier. Certes, la reddition du Japon est acquise. Mais au prix de dizaines de milliers de victimes et de destructions inimaginables, pour très longtemps…
DES RELATIONS RENFORCÉES AVEC ZENROREN
À Hiroshima, les Japonais commémorent chaque année, le 6 août, les bombardements atomiques des deux villes, et rendent hommage aux victimes. Pour ce 70e anniversaire, la CGT est encore une fois présente aux côtés de la confédération syndicale japonaise Zenroren, avec laquelle elle mène diverses actions depuis la fin des années 1980. « Nous avons des relations très étroites avec Zenroren », commente Mariannick Le Bris, conseillère à l'espace international de la CGT et membre de la délégation. Elles se sont renforcées autour de la solidarité que nous avons organisée après l'accident nucléaire de Fukushima. »
La question du désarmement nucléaire est évidemment centrale. Elle se pose dans des termes particuliers au Japon. Pour Zenroren, comme pour une grande partie de la population japonaise, explique Mariannick Le Bris, le nucléaire, qu'il soit civil ou militaire, est à proscrire. Quand on a subi successivement Hiroshima, Nagasaki et ensuite l'accident de Fukushima, cela se comprend, ajoute-t-elle. Si la CGT, pour sa part, fait clairement la distinction entre nucléaire civil et nucléaire militaire, elle en soutient d'autant plus son partenaire japonais, tant le besoin de solidarité concrète est grand avec les toutes victimes.
Aussi, la confédération Zenroren a-t-elle invité la CGT à participer à une conférence sur le nucléaire, organisée du 3 au 9 août. On y fera le point sur l'état des armements, mais également sur les victimes des accidents nucléaires. Il y sera également question du récent projet de loi de défense japonaise qui fait débat.
LA QUESTION MILITAIRE EN DÉBAT
Le Japon vit depuis 60 ans dans un pacifisme que l'on peut qualifier de « constitutionnel ». Après sa reddition, le 15 août 1945, en effet, le pays s'était vu imposer, en 1947, par le vainqueur américain, une constitution, jamais amendée jusqu'à présent, dont l'article 9 consacre la renonciation à la guerre : « […] le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu'à la menace ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. […]il ne sera jamais maintenu de forces terrestre, navale et aérienne, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'État ne sera pas reconnu. »
Les derniers sondages montrent que plus de la moitié des Japonais y demeurent fermement attachés et se disent opposés à la participation de soldats nippons à toute action militaire extérieure. Mais, le gouvernement nationaliste de Shinzo Abe vient de faire adopter par la chambre basse du Parlement une loi de défense très controversée, qui autorise l'envoi à l'étranger des Forces d'autodéfense, nom officiel d'une armée qui, jusqu'ici, ne pouvait agir que dans le cas d'une offensive externe sur son territoire.
Participation à la lutte contre le terrorisme ; réponse à Pékin, dont les avancées en mer de Chine apparaissent coercitives et menaçantes ; soutien au grand allié américain pour conserver le contrôle stratégique de la zone Pacifique ? La rue japonaise, quoi qu'il en soit, manifeste contre ce projet de loi littéralement anticonstitutionnel. Gageons que la commémoration d'Hiroshima sera placée résolument, pour la population japonaise, plus encore que les années précédentes, sous le signe de la défense de la paix et contre toute montée en charge militariste et guerrière.