Le septième film du réalisateur marocain, Nabil Ayouch, est un vibrant hommage aux prostituées et femmes de son pays. Cru mais élégant, il est censuré dans son pays malgré la pétition de soutien signée par de nombreux cinéastes.
Edit : mise à jour de l'article le 16 septembre sur la censure exercée au Maroc
Sur fond noir, des voix féminines racontent des aventures avec « des chattes défoncées » et « des bites énormes ». Les dialogues sont crus, ils sautent à la figure. On découvre trois femmes affairées autour d'une table à se faire les ongles, se maquiller, se coiffer, fumer et boire des coups. Il faut se mettre dans l'ambiance avant de sortir. Mettre son armure pour aller travailler.
« Qu'est-ce que tu regardes ? Tu veux qu'une pute parle en prose ? », lance Noha au chauffeur qui les emmène à cette soirée privée chez des Saoudiens, où il va falloir montrer « sourire, gambettes et culs », et même ramasser les billets avec les dents sur le sol. Car il faut payer le loyer, nourrir la famille ou un rêve d'ailleurs… Autour d'une petite équipe de trois, puis quatre prostituées, Nabil Ayouch installe une chronique sociale qui saisit, bouscule et oscille adroitement entre violence et tendresse.
Ces personnages ne sont pas nouveaux dans sa filmographie. Dans « Ali Zaoua, prince de la rue » (2000), son deuxième film, la mère d'un des quatre personnages principaux était déjà une prostituée. Même chose dans « Les chevaux de Dieu« (2012), son précédent film … « Le sexe est fondamental dans la société arabe, explique le réalisateur, Nabil Ayouch, notamment la frustration qu'il génère et qui laisse très peu d'espace à l'amour pour s'exprimer aussi bien dans la sphère privée que publique. En ce sens, les prostituées servent de catalyseur, encore plus qu'ailleurs. »
Ce discours a provoqué de vives réactions au sein d'une partie de la population marocaine. Le gouvernement a simplement décidé de l'interdire, le qualifiant d'« outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine ».
Les scènes sont longues, elles durent pour donner le temps aux personnages de se révéler au cours de l'action, car rien ne nous est dit sur eux. Nabil Ayouch préfère entrer dans le vif de la fiction sans préambule et donner ainsi un ton direct au récit. Fruit d'années de réflexion sur le milieu et d'un travail de recherche auprès de plusieurs centaines de jeunes femmes prostituées, durant un an et demi de travail, autour de la région de Marrakech, le récit est ancré dans la veine documentaire et revendique ouvertement sa dimension naturaliste. Il en va du sujet de société, bien sûr, mais le traitement de plusieurs séquences de rue, qui reviennent régulièrement sur fond de musique lyrique et de vrombissements sourds, offre également une fenêtre extérieure, un regard distancié sur le Maroc d'aujourd'hui.
Tournées depuis le taxi qu'empruntent les prostituées pour se déplacer en toute discrétion – toujours le même chauffeur, un homme qui ne les juge pas –, ces scènes révèlent au passage l'enfermement qu'elles subissent et la marginalité à laquelle elles sont condamnées. En contre-point, les figures masculines apparaissent globalement dominantes et détentrices des règles du jeu – la scène de viol dans le commissariat, par un inspecteur corrompu qui se paye en nature, en est le paroxysme – mais nullement libres de toute frustration.
|
|
Much Loved, de Nabil Ayouch. 1 h 44. Sortie nationale : le 16 septembre |