Janine Halbreich-Euvrard porte à bout de bras « Proche-Orient, ce que peut le cinéma », rare occasion de rencontres pour les cinéastes du Proche-Orient venus présenter leurs films à Paris, du 20 au 29 novembre.
Il faut la foi du charbonnier pour maintenir, malgré des décennies de guerres et d'évènements dramatiques dans toute la région, un festival de cinéma qui, déjà en 1976, questionnait Israéliens, Palestiniens, que peut le cinéma ?.
Le festival a élargi son panorama biennal à l'ensemble de cette zone stratégique et déchirée qu'est le Proche-Orient. Si le cœur du festival demeure la région Israël/Palestine, le programme propose également des films dont les réalisateurs viennent de Libye, d'Iran, d'Irak, du Liban, de Syrie.
Une belle place y est faite aux femmes et la question des réfugiés est très présente. En cette année 2015 endeuillée par des attentats en France – mais aussi en Belgique, au Danemark, au Liban, au Kenya, au Nigeria, en Somalie, au Tchad, en Tunisie, en Turquie, en Égypte, en Afghanistan, etc. –, proposer une telle rencontre semble une « gageure nécessaire ».
NVO – Pourquoi ce festival après tant d'années et d'événements ?
Janine Halbreich-Euvrard – Parce qu'il est impératif de le faire. Parce que ce festival veut briser l'image stéréotypée que les médias donnent de ces guerres, au mépris de ceux qui en sont les victimes.
C'est pour cette raison que nous invitons des cinéastes de tout le Proche-Orient à témoigner de la « véritable vérité ». Bien sûr, quelques jours après les attentats à Paris, je ne sais pas qui viendra, comment va se passer le festival, mais il ne faut pas se laisser intimider. Donc, nous serons là et nous n'avons pas peur !
Il importe de montrer ces films. Lorsque nous les sélectionnons, avec Carol Shyman, ce n'est pas l'aspect technique qui importe, mais ce que le film peut apporter au débat. C'est le rôle du festival, d'autant plus que nous avons la chance d'avoir le spécialiste du Proche-Orient Dominique Vidal pour animer ces débats.
Le programme de la biennale propose une majorité de documentaires et peu de fictions. Qu'est-ce que cela dit des cinématographies du Proche-Orient ?
Cela dit qu'ils ont autre chose dans la tête que de la fiction. Qui a envie de faire des fictions quand il y a tant à témoigner ?
Ce n'est pas par manque de financement, car beaucoup de films sont des coproductions, mais je pense que le jour où nous pourrons revoir un film de fiction tel que Noces en Galilée, de Michel Khleifi, ça voudra dire qu'il y aura la paix.
Mais les thématiques sont celles du terrain : la guerre, l'exil, la dépossession des territoires, les arrestations, la torture et des réalités peu connues comme le fait qu'il y a maintenant beaucoup d'Africains qui cherchent du travail en Israël où règne un racisme épouvantable. Il y a même un immense camp de rétention près de Behr Sheva…
Les films programmés viennent de tout le Proche-Orient, mais sont-ils vus dans leurs pays d'origine ?
La plupart sont des « films de festivals » même si, pour qu'ils sortent, nous nous battons pied à pied avec les distributeurs. À Paris, nous sommes terriblement gâtés avec une offre de cinéma qu'il n'y a nulle part ailleurs. Dans tout le Proche-Orient, il y a assez peu de salles de cinéma, quelques-unes dans les centres commerciaux comme dans nos banlieues.
En revanche, les films sont montrés dans les universités. Et en Palestine, au grand théâtre de Ramallah, une salle magnifique, lieu de beaucoup d'évènements culturels. Des projections sont aussi organisées dans les camps de réfugiés, car il y a un travail culturel prodigieux dans les camps palestiniens.
Vous aviez écrit une premier livre, Israéliens, Palestiniens, que peut le cinéma, après un voyage. Dix ans plus tard, vous signez avec Carol Shyman Israéliens, Palestiniens, les cinéastes témoignent. Dans quel état d'esprit avez-vous trouvé les cinéastes rencontrés ? Ont-ils encore envie de se parler ?
Pour les Palestiniens qui pourront sortir ! Nous n'avons jamais de cinéastes de Gaza, par exemple, ils ne peuvent pas sortir du territoire. Il y a une telle désespérance parmi les cinéastes comme parmi les populations palestiniennes…
Une infime minorité de cinéastes israéliens va encore en Palestine, mais ils ne savent plus quoi dire, parce qu’il ne reste presque rien du territoire palestinien, il y a des colonies partout. Les occasions de dialogue sont donc limitées ; notre festival en est une.
Le livre est un carnet de notre dernier voyage. Nous avons rencontré dix cinéastes israéliens et palestiniens qui racontent leurs difficultés. L'autre aspect du livre, c'est aussi un témoignage des mille et une humiliations quotidiennes.