8 décembre 2015 | Mise à jour le 22 février 2017
Prix « Un certain regard » au dernier Festival de Cannes, Béliers, de l'Islandais Grímur Hákonarson, est autant une farce à l'humour noir qu'un vibrant hommage à la nature. Avis de tempête.
Dans une vallée reculée d'Islande, Gummi et Kiddi, deux vieux frères voisins, brouillés depuis des décennies, élèvent soigneusement leurs moutons et se livrent une concurrence vache.
Mais leur routine est perturbée par une menace sérieuse : l'épidémie de tremblante, historiquement venue de Grande-Bretagne, touche leurs troupeaux, et les autorités sanitaires les obligent à abattre leur bétail. L'extinction de l'espèce est programmée : ce sera la fin de la lignée des Bolstad, des bêtes de compétition.
Basé sur les risques réels de l'industrie intensive de l'élevage, le scénario fait penser à la propagation de la crise financière de 2008 qui avait littéralement mis le pays K.O. en saignant ses finances publiques. Mondialisation oblige. Mais le récit emprunte les voies de la fable anthropologique plus que la chronique sociale. Son titre sans article – Béliers – évoque un sens générique, universel, et une double signification : celle de l'espèce animale autant que celle de l'entêtement humain.
Cela dit, le film met en avant son identité nordique jusqu'à flirter avec le pittoresque : le récit fait la part belle à deux grands barbus à l'air renfrogné, souvent affublés des classiques pulls jacquard en laine d'agneau ou des chemises de flanelle à carreaux écossais.
Ils forment un duo contrasté et comique. L'un, grand, flegmatique et réfléchi, reçoit le leg de la propriété familiale. L'autre, bourru et trapu, est un sanguin qui fonce, se saoule et vient tirer des coups de fusil devant chez son frère…
En toile de fond de ces querelles puériles et fraternelles, les décors sont souverains : montagnes enneigées et ciels interminables dans toutes leurs nuances de gris, de bleus. Le climat est rude : soleil, vent, neige, tout est frontal, implacable. Quelques notes de piano éparses et c'est le basculement dans la solitude.
Un mélange d'humour noir et de drame qui fait penser à Noi Albinoi, de Dagur Kari (2003) jusqu'à ce qu'un sentiment grave l'emporte, faisant penser aux romans noirs de Arnaldur Indridason et à son personnage principal, Erlendur, vieil enquêteur austère à jamais torturé par la perte de son frère au cours d'une tempête de neige, lorsqu'ils étaient enfants.
Quelque chose est en train de mourir, sur le point de s'éteindre, d'être enseveli. La planète gronde, les bêtes se meurent. Nous, peut-être, aussi. Survivront-ils, ces deux hommes, réfugiés sous la glace, leurs corps nus serrés l'un contre l'autre ? Et leurs béliers, abandonnés à leur sort dans la tempête de neige ?
Béliers, de Grímur Hákonarson, sortie nationale le 9 décembre 2015. 1 h 33