11 décembre 2015 | Mise à jour le 22 février 2017
Peut-on transmettre un idéal révolutionnaire ? Qu'héritons-nous des luttes passées ? Comment trouver de nouvelles manières d'agir ? Des questions qui traversent « Ah ! ça ira… », dernier roman de Denis Lachaud.
« Depuis que la Cinquième République est née, nous connaissons une alternance de gouvernements qui, s'ils se réclament de couleurs politiques opposées, cheminent sur une seule et même voie. Chacun, des deux côtés de l'échiquier politique, concourt depuis plusieurs décennies à construire cette démocratie conforme au marché dans laquelle nous vivons aujourd'hui, société foncièrement inégalitaire au point d'avoir, avec les ZeST, légalisé l'inégalité. »
S'il n'était la dernière phrase et ses énigmatiques ZeST, on pourrait penser qu'il s'agit d'un éditorial politique. Mais nous sommes bien dans la fiction, née sous la plume de Denis Lachaud, romancier et dramaturge, qui situe en 2016 le début de Ah ! ça ira…
RÉVOLUTIONS, PROTESTATIONS, CONTESTATIONS
Sous le pseudo de Saint-Just, Antoine et son groupe, Ventôse, enlèvent, séquestrent brièvement puis assassinent le président de la République française. Ses complices, Marat et Robespierre et lui-même citent la Révolution française, mais les recettes du passé ne fonctionnent plus et cette action inspirée des Brigades rouges italiennes est un échec total.
Antoine est arrêté, jugé, emprisonné, mis au secret. Lorsqu'il sort, en 2037, sa fille Rosa (comme Rosa Luxemburg), à laquelle il a transmis son envie de changer le monde, va, avec son ami Rufus, prendre la tête d'un mouvement citoyen qui s'inspire des Enfants de Don Quichotte, protestant contre la pénurie de logements abordables en plantant leurs tentes dans le jardin de l'Elysée.
Antoine peine à se réadapter à une société qui a beaucoup changé et où les vingt arrondissements de Paris sont désormais flanqués de quatre ZeST cernées de hauts murs, des townships à la française où sont parqués, selon leur nationalité d'origine, les migrants de tous pays, fournissant une main-d'œuvre sans droits et sans voix (contrats journaliers, syndicats interdits, salaire horaire d'un tiers du SMIC) à une société aux inégalités institutionnalisées. Une directive européenne « d'Accueil et de prise en charge des populations migratoires excédentaires » a créé ces territoires « dotés de lois et règlements spécifiques votés à Bruxelles et Strasbourg. La Constitution avait été modifiée dans ce but. »
La Chine est la première puissance mondiale et la France un musée à ciel ouvert, vivant du souvenir de sa grandeur passée transformée en attraction touristique. Les citoyens y sont hyper surveillés, caméras et drones patrouillent, tandis qu'Antoine décide de lancer un site intitulé « Je non-vote »…
CHANGER LE MONDE
Denis Lachaud s'est à l'évidence inspiré des mouvements de protestation récents tout autour de la planète pour ce roman qui n'anticipe en fait qu'assez peu (2037, c'est demain). Du printemps tunisien, à l'évidence, avec l'immolation par le feu d'un homme empêché d'exercer son petit commerce, mais aussi de Podemos, Syriza, Occupy Wall Street, voire des Anonymous.
Mais il élude un peu rapidement la montée de l'extrémisme des partis populistes ou des mouvements fanatiques religieux qu'il décrit comme très marginaux, et fait totalement abstraction des dégradations de l'environnement. Ainsi, mettant en cause la représentation parlementaire par son « Je non-vote », Antoine n'offre cependant que de maigres alternatives.
Ce roman, prétexte à décrire un présent inquiétant, est passionnant, même s'il exprime plutôt des craintes et des colères qu'il ne débouche sur des ébauches de propositions pour changer un monde qui a atteint les limites du supportable.
Ah ! ça ira…, Denis Lachaud – Éditions Actes Sud, août 2015
432 p., 21,80 €.