12 janvier 2016 | Mise à jour le 21 février 2017
Égypte, janvier 2011, le peuple du Caire se soulève contre Moubarak. La réalisatrice Anna Roussillon vient juste de quitter ce pays de son enfance et y retournera pour filmer cet éveil en un décalage éclairant.
Dans un petit village agricole, près de Louxor, Anna Roussillon était venue chercher une idée de documentaire où il serait question du tourisme de masse en Égypte. Mais elle a rencontré par hasard Farraj Jalal et sa famille, des paysans modestes qui – en dehors de quelques innovations technologiques (la télévision, un téléphone portable, une moto) – semblent appartenir à des temps immémoriaux.
Les préoccupations ici ne sont pas politiciennes, mais bien politiques, au sens strict, celui de la vie d'une communauté au quotidien.
On est dans le local et non dans le global.
On travaille la terre avec des outils ancestraux, on s'interroge sur l'arrivée des bouteilles de gaz qui permettront la cuisson du pain, sur l'antique pompe à eau qui refuse de démarrer, sur les récoltes qui sont toujours incertaines et dont on espère qu'elles permettront de payer la scolarité des enfants, sur les prix qui augmentent.
Si on parle peu de l'État, on subit ses manques…
Lorsqu'éclate le mouvement de la place Tarhir, la documentariste vient juste de rentrer en France où elle enseigne, et ne peut repartir, l'aéroport du Caire étant bloqué en raison des événements.
Quand elle peut enfin rejoindre Farraj et les siens, elle suit avec eux, à 700 km de distance, ce qui se passe dans la capitale, jusqu'à la destitution du président Morsi en 2013.
Devant la télévision, entre deux coupures de courant, Farraj et sa famille commentent cette actualité, s'enthousiasment, émettent un avis, en changent, débattent, se méfient des promesses. Farraj se réjouit d'abord de l'élection de « Tonton Morsi » : « C'est la première fois qu'un civil gouverne le pays, c'est la première fois que je sens que ma voix a un poids » déclare-t-il avec émotion.
Mais quelques mois plus tard, déçu, il sera de ceux qui réclameront, du bout des lèvres, son départ… On découvre de l'intérieur comment des gens du peuple, parfois analphabètes, forgent leur conscience politique, car, comme le dit finement Farraj, ici, « nous en sommes au niveau de la maternelle pour la démocratie ».
C'est ce « pas de côté » par rapport au cœur de l'histoire qui fait toute la force et l'originalité de ce film passionnant qui donne la parole à ceux qui ne l'ont jamais. Et qui échappe ainsi au syndrome du scoop qui veut qu'on ait le nez sur l'événement, redonnant toute sa place au regard documentaire dans sa différence avec le reportage.
Je suis le peuple, réalisé par Anna Roussillon. 1 h 51.