Les réfugiés affluent sur notre continent et les naufrages se multiplient. L'Europe forteresse doit repenser sa politique d'accueil des demandeurs d'asile.
L'EUROPE AU PIED DU MUR ?
« Si vous ne pouvez pas trouver d'accord sur des réfugiés, vous ne méritez pas de vous appeler Européens. » Le coup de sang piqué par le président du Conseil italien, Matteo Renzi, contre ses homologues européens, en dit long sur la crise que traverse l'Europe, incapable de s'accorder sur une répartition équitable des réfugiés qui se présentent à ses frontières. La Grèce, l'Italie et la Hongrie – principales portes d'entrée de l'Europe – estiment, à juste titre, qu'elles ne peuvent plus faire face seules à cet afflux et remettent en question le règlement de Dublin qui oblige les migrants à demander l'asile dans le premier pays où ils posent le pied.
Depuis janvier, 340 000 personnes ont traversé les frontières de l'Europe, dont 107 000 pour le seul mois de juillet ! Sur le continent, cette situation exacerbe les sentiments anti-migrants et l'escalade sécuritaire. Depuis 2000, « l'Europe forteresse » a dépensé 1,6 milliard d'euros au bénéfice de sociétés privées pour défendre ses frontières.
QUI SONT CES MIGRANTS ?
« Aujourd'hui, l'essentiel des personnes qui arrivent par la Méditerranée fuient des violences, des persécutions et ont besoin de protection. Fermer les frontières n'a aucun effet sur les départs, cela ne fait que rendre la migration plus dangereuse et alimenter le business des passeurs », estime le chercheur François Gemenne, membre du laboratoire Mobglob.
Les Syriens (⅓ des arrivées actuellement) sont les plus nombreux à chercher refuge en Europe, les autres sont nigérians, afghans, soudanais et pour beaucoup érythréens. Faute d'accès légal à l'Europe (visas…), ces candidats à l'exil tentent un voyage à haut risque par la mer. Depuis janvier, plus de 2 000 d'entre eux – hommes, femmes et enfants – y ont déjà perdu la vie.
QUE DIT LE DROIT INTERNATIONAL ?
« Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. ». Inspiré des articles 13 et 14 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme (1948), le statut de réfugié est régi par la convention de Genève de 1951. Ce traité, adopté par 145 États, pose les bases juridiques de la protection des personnes persécutées.
Le droit d'asile, distinct des politiques migratoires, a été sanctuarisé en France par la constitution de 1958. Toutes les demandes d'asile se font en première instance auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). En cas de rejet, les recours sont portés auprès de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) qui offre une seconde chance au requérant d'être entendu par des juges.
QUELLE RÉPARTITION EN UE ?
626 065 personnes ont cherché l'asile l'an dernier en Europe. Plus d'un million de réfugiés devraient franchir ses frontières cette année. L'UE n'avait plus fait face à un tel afflux de personnes persécutées depuis les guerres de Yougoslavie (1992-1995). Des chiffres à relativiser. Rapportés aux 550 millions de personnes de la zone UE, cela ne représente que 0,18 % de sa population. Le Liban accueille plus d'un réfugié syrien pour quatre habitants. L'Allemagne, pays le plus sollicité l'an dernier, avec un tiers des demandes de toute l'UE, va devoir faire face à 800 000 demandes d'asile cette année.
Avec 62 635 requérants, la France se situait, en 2014, en quatrième position derrière la Suède et l'Italie. Mais rapporté à sa population – un demandeur d'asile pour mille habitants –, notre pays est en réalité huit fois moins sollicité que la Suède. Et l'accès à l'asile en France y est devenu de plus en plus restrictif. En 1973, l'Ofpra accordait le statut de réfugié dans 85 % des cas contre 17 % aujourd'hui, alors que le taux d'acceptation est de 44 % en Allemagne.
L'ASILE À BOUT DE SOUFFLE ?
Le système de l'asile en France est mal en point. Engorgé, trop arbitraire. « Le soupçon autour des demandeurs d'asile s'est généralisé, constate François Gemenne. On les suspecte de mentir et d'être des immigrés économiques déguisés. Le drame, c'est que des personnes menacées ne parviennent plus à obtenir la protection à laquelle elles ont droit. » Les décisions des juges de la CNDA, prises en quelques minutes, reposent davantage sur une intime conviction que sur un examen approfondi des faits. « Le mercredi, quand les décisions sont affichées, on voit des gens s'évanouir, relate Susie Balourd, secrétaire CGT de la CNDA. En octobre, un débouté s'est immolé dans le couloir. »
La loi sur le droit d'asile adoptée cet été doit réduire à neuf mois les délais de traitement. Au risque d'expédier un peu plus les dossiers, s'inquiète le syndicat. Face à l'impasse d'une Europe repliée sur elle-même, certains chercheurs étudient l'impact d'une ouverture des frontières. « Les frontières n'empêchent pas les départs. Quant à l'idée que l'ouverture des frontières va créer un appel d'air, c'est un fantasme politique », conclut François Gemenne. L'expérience des régularisations massives en Espagne, en 2005, en Italie, en 2006 et aux États-Unis, en 2014 (plus de cinq millions !) semble lui donner raison.