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Deux mois de grève pour respirer

5 juin 2014 | Mise à jour le 2 mai 2017
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Deux mois de grève pour respirer

En grève depuis plus de deux mois, les employés de Sénerval, à Strasbourg, forcent le respect. Le 21 mars, autour de Atef Labben, leur délégué syndical CGT, ils ont estimé avoir suffisamment inhalé de poussières cancérogènes dans cette usine d'incinération des ordures ménagères. Devant le dédain de la direction et la désinvolture du président de la communauté urbaine comme du préfet, ils ont finalement bloqué l'entrée des camions de déchets qui continuaient d'arriver.

«Cette lutte engagée par les salariés de Sénerval (groupe Séché) est exceptionnelle, si on la compare à d'autres luttes d'entreprises. D'abord par sa durée. Mais aussi une détermination absolue contre les risques sanitaires qu'ils encourent pendant leur activité professionnelle. Ils se battent avec une cohésion rarement atteignable dans un collectif de travail », explique Raymond Ruck, secrétaire du comité régional CGT d'Alsace.

Une admiration qui ne s'arrête pas aux mots : le syndicat, au niveau interprofessionnel, organise la solidarité financière, par des contributions de structures du syndicat et la souscription auprès des militants et sympathisants. Régionalement, mais nationalement, vers toutes les structures de la CGT.

« DANGERS GRAVES ET IMMINENTS »

Que leur a-t-il pris, ce 21 mars, à ces salariés (une cinquantaine) d'arrêter le travail ? C'est peu dans l'air du temps. Rien de « particulier », si ce n'est qu'ils en avaient assez de consigner dans leur cahier de quart, sous la rubrique « dangers graves et imminents », qu'il faudrait à tout le moins ralentir le rythme des incinérations, les électrofiltres se bouchant et conduisant les chaudières à fonctionner en surpression, sans que la direction ne réagisse. D'autant que, faut-il le préciser, des fumées toxiques envahissent régulièrement toute l'usine… et les alentours. « Intervenir sur un électrofiltre dégage tellement de poussière qu'on n'arrive même plus à voir clair.

VOILÀ LE RECYCLAGE DES DÉCHETS
SAUCE LIBÉRALE

Cette opération qui produit la bagatelle de 30 tonnes de cendres par semaine est confiée à seulement deux salariés. C'est impossible », s'indigne Atef Labben, au comble de l'exaspération, comme ses collègues. « On est là au cœur de l'incurie du système capitaliste qui, non seulement génère des montagnes de déchets, mais en plus ne sait pas les retraiter, l'essentiel étant qu'il se fasse des montagnes de pognon. Voilà le recyclage des déchets sauce libérale », renchérit un de ses collègues.

LE PRÉFET A DÛ VENIR VOIR

C'est ainsi qu'ils ont fini par obtenir la venue du préfet sur le site, ainsi que de la Dreal, la direction régionale de l'environnement. On notera au passage que, dans cette grave affaire, le préfet se plaît à dire qu'il est intervenu sur sa simple intuition, zappant les salariés et leur syndicat. Pas de souvenirs de ces salariés qui l'ont interpellé et lui ont fourni tous les documents écrits ou photographiques prouvant l'étendue des dégâts ? Un petit effort, la mémoire devrait revenir. En tout cas, il a pris, nous dit le président de la communauté urbaine, Robert Hermann, des arrêtés d'urgence et saisi le procureur de la République en vue d'une procédure judiciaire. Que ne l'a-t-il dit directement aux délégués du personnel ?

DÉSINVOLTURE ET STRATAGÈMES DE LA DIRECTION

Robert Hermann semble particulièrement décontracté bien que concerné en première ligne. C'est quand même lui qui a délégué ce service public à Sénerval, filiale du groupe Séché-Environnement. Se retranchant derrière la venue de la Dreal, notons qu'il « prend des mesures afin d'améliorer la transparence et le contrôle, par les autorités préfectorales, sur les rejets atmosphériques, les investissements, sur les travaux de maintenance et la conduite des installations ». Et de préciser : « Si je suis ouvert à une rencontre rassemblant la direction du groupe Séché, l'autorité préfectorale et les représentants syndicaux, celle-ci ne pourra être organisée et acceptée par l'ensemble des participants qu'à la condition qu'elle soit une véritable réunion de sortie de crise, permettant la signature d'un protocole d'accord préalablement validé par l'ensemble des parties. » En somme, il se dérangera quand Séché aura calé ! Ce qui n'est pas chose faite, faut-il préciser.

GAGNER SANS INVESTIR

Séché, en effet, s'évertue à noyer le poisson en se retranchant derrière la Dreal et les services de l'État qui reconnaîtraient « que l'UIOM (Usine d'incinération d'ordures ménagères) de Strasbourg est en mesure d'assurer un fonctionnement comme n'importe quelle UIOM ». Un stratagème de plus. Car il est de notoriété publique que, depuis des années, les enregistrements de polluants sont coupés par la hiérarchie, même quand les fours restent actifs, afin de laisser croire à un respect des normes.

DES POUSSIÈRES CLASSÉES CANCÉRIGÈNES

Faut-il rappeler qu'on parle ici de poussières dites CMR, c'est-à-dire classées comme cancérogènes et/ou mutagènes et/ou toxiques pour la reproduction ? La faute à Protires, l'ancien délégataire, remercié en 2010, qui, oubliant d'investir, aurait laissé du matériel usagé à son successeur ? Peut-être, mais on parle là de la santé d'êtres humains, qui mérite bien quelques investissements. En fait, Séché, pour remporter l'appel d'offres, n'aurait pas été très regardant quant aux installations dont il héritait. Cherchez l'erreur : investir dans une usine d'incinération polluante et ne pas inspecter dûment électrofiltres et fours !

ALERTE SUR TROIS FOURS

Après avoir mis le nez dans l'ordinateur qui leur est relié, les salariés ont obtenu la preuve que, sur les trois derniers mois de 2013, il y a eu plus de 600 heures de dépassement de pollution, non communiquées à la Dreal. À l'évidence, d'après les grévistes, il faudrait au minimum investir dans trois fours rapidement.
Les grévistes ont, du coup, sur leur lancée, décidé d'empêcher le déchargement des camions d'ordures dans l'usine. Lesquels continuaient en effet à pénétrer dans l'établissement, peser leur chargement et à s'en débarrasser comme si de rien n'était. Autant de déchets qui, faute d'être brûlés, ont pu être enfouis aux abords de l'usine. C'est du moins ce qu'on peut présumer. À moins qu'on ne leur fasse traverser la France pour rejoindre une autre unité du groupe Séché du côté de Laval.

RISQUES ENVIRONNEMENTAUX

« La lutte des Sénerval dépasse les enjeux habituels d'une lutte d'entreprise. Les risques environnementaux sont au cœur de ce conflit. Il ne s'agit pas que de salariés, mais aussi de l'intérêt général », souligne Raymond Ruck. Lequel s'interroge aussi sur l'impact financier, par l'arrêt d'activité, sur les comptes de Sénerval. Par on ne sait quel tour de passe-passe, ses finances expliqueraient son intransigeance.

« Il s'agit d'une lutte offensive que celle des Sénerval, porteuse d'une amélioration des conditions dans lesquels se déroulent les délégations de service public », espère gravement le secrétaire régional de la CGT pour qui « un succès des salariés de Sénerval, c'est un succès pour tous et un échec pour tous ceux qui privilégient la rentabilité financière au détriment des besoins humains ». Et comble, le groupe, en 2013, a dénoncé quasiment tous les acquis sociaux obtenus par les salariés : accord des 35 heures, accord de participation… Et ce, sans négociation aucune avec les syndicats ou même en vue d'un projet.