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DUMPING SOCIAL

Les syndicats d'Europe de l'Est disent non au dumping social

23 février 2015 | Mise à jour le 20 mars 2017
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Les syndicats d'Europe de l'Est disent non au dumping social

Mardi 17 février, s’est tenue en Pologne une conférence sur le détachement réunissant les syndicats de six États européens parmi lesquels des pays de l’Est. Objectif: s’unir face à la concurrence des uns contre les autres.

Six pays, 30 invités, 15 traducteurs, l’hôtel Campanile de Cracovie s’est transformé le temps d’une journée en «mini»-Parlement européen. Mais à la tribune, ce sont des syndicalistes qui parlent. Représentants de grandes confédérations ou de syndicats de branche professionnelle, ils viennent de France (CGT), Roumanie (Cartel Alfa), Espagne (CSIT-UP), Pologne (OPZZ), Lituanie (LPSK) et Lettonie (LCA) pour parler du détachement, de ses failles et de ses abus.

  • CF Acronymes des syndicats en bas de page

 

C’est l’OPZZ, le plus grand syndicat de travailleurs polonais – après le très officiel et controversé Solidarnosc – qui est à l’initiative de cette rencontre. «Nous sommes conscients d’avoir participé malgré nous à la baisse des standards de certains pays alors que nous pensions élever les nôtres. Je pense notamment aux appels d’offre publics français, qui, en favorisant les prix les plus bas, se répercutent sur le salaire des Français. Aujourd’hui, nos entreprises polonaises sont confrontées à leur tour à la concurrence déloyale, dans le transport routier, par exemple. Notre objectif, c’est la liquidation du dumping social et des inégalités de traitement des travailleurs.» 


En introduisant ainsi la conférence, Pawel Smigielski, juriste polonais de l’OPZZ et animateur de la journée, donne le ton des débats à venir: face à la concurrence qui sévit en Europe entre nationalités, les syndicats doivent s’unir. «D’abord, cette réunion confirme, par les témoignages divers, que l’ensemble des syndicats s’inquiètent de voir la situation des salariés détachés de leur propre pays s’aggraver», explique Jean-François Sobecki, l’un des représentants de la délégation française de la CGT. Coordinateur sur le chantier de l’EPR de Flamanville, il connait bien le sujet. «D’autre part, il y a le contexte économique global européen: les pays européens sont tous confrontés à des taux de chômage extrêmement élevés et une déréglementation grandissante. Les Lituaniens ont parlé des Ukrainiens qui travaillent pour des salaires de misère dans leurs usines métallurgiques et leurs transports. Les Polonais ont évoqué les Lettons qui viennent aujourd’hui en Pologne et qui déstabilisent le marché du travail polonais, déjà très fragile. Il faut apporter des réponses de progrès avec une directive très protectrice et se doter de moyens pour la faire respecter», ajoute-t-il.

Que cette conférence se tienne en Pologne, première nationalité de main-d’œuvre détachée en France (38 000 salariés déclarés en 2013 par la Direction générale du travail), est un signe très positif pour la CGT. «C’est la première fois qu’on est amené à rencontrer les syndicats de pays qui “fournissent” un grand nombre de salariés détachés vers la France, même s’il faut toujours garder en tête que nous sommes, après l’Allemagne, le 2e pays européen à détacher nos travailleurs à l’étranger», note Yves Adelin. Animateur du collectif sous-traitance de la fédération Mines-Énergies, lui aussi a été envoyé en Pologne par la CGT. Renata Tretiakova de l’Espace international de la CGT est également du voyage.

Délégation française de la CGT à Cracovie pour le colloque intersyndical Délégation française de la CGT. De g. à dr: Jean-François Sobecki, coordinateur sur le chantier de l’EPR de Flamanville; Yves Adelin, animateur du collectif sous-traitance de la CGT Mines-Énergies; Renata Tretiakova de l’Espace International de la CGT.©S.Babaz

 

Cette rencontre intersyndicale inaugure le projet «Equality in mobility – Responsible movement of workers in the UE» ( Egalité dans la mobilité – Déplacement responsable de travailleurs dans l’Union européenne). Financé par l’UE, ce programme se donne pour objectif d’élaborer collectivement un état des lieux du détachement, de faire des recommandations à l’UE, de créer un outil d’information international pour les travailleurs détachés de type site internet et de mettre en place une collaboration de terrain entre syndicats européens sur le sujet.

Si des initiatives individuelles de ce type existent déjà, à l’image du syndicat européen de la construction qui a créé son propre site ou celui du syndicat allemand DGB dédié à tous corps de métier,  c’est un outil global et multilingue que l’Union européenne souhaite concevoir. A l’issue de cette première réunion à Cracovie, le groupe sera scindé en deux: France, Roumanie et Espagne, d’un côté; Lettonie, Lituanie et Pologne, de l’autre. Ils se rencontreront lors de 6 tables rondes courant 2015 pour un bilan prévu au début de l’année 2016.

Outre l’aspect institutionnel de l’événement – une grande partie de la journée fut consacrée à la transposition de la directive 96 sur le détachement dans le droit national de chaque pays – ce colloque fut l’occasion d’échanger les expériences de détachement de chacun. «Tous les syndicalistes ici présents partagent le même constat: les ouvriers détachés de leur pays ou venant travailler chez eux ne maîtrisent ni la langue ni le droit du travail du pays d’accueil. Les heures supplémentaires, nombreuses, ne sont pas rémunérées. Logés dans des bâtiments indécents, le loyer est ponctionné sur leurs salaires » raconte Yves Adelin. «Aussi, nous avons la même analyse: une filière “négrière” s’est mise en place et la directive détachement est utilisée dans le cadre d’un dumping social organisé.»

Ce colloque a créé les conditions de partage de connaissances et de contacts. Secrétaire général d’un syndicat des conducteurs de camion de Lituanien, la Lithuanian federation of roads and transport workers trade union, Ramunas Narbutas souhaite pouvoir collaborer avec ses camarades de la CGT. « Chez nous, les entreprises lituaniennes embauchent des Biellorusses, Georgiens, Ousbecks et Ukrainiens sous contrat lituanien et les envoient en détachement auprès de sociétés danoises ou norvégiennes. Ils peuvent ainsi rouler partout en Europe à des conditions de travail de misère. On pourrait imaginer que vous la CGT, identifiez les entreprises frauduleuses et que nous mettions l’inspection du travail sur le coup. Ca, ça serait possible. » Bref, de l’action concrête.

Car «faire bouger la directive ne peut pas être un objectif immédiat. Veillons d’abord à faire appliquer les dispositions prévues dans les textes existants. Le but de cette rencontre, c’est l’action syndicale. Nous avons repéré les personnes sur lesquelles on pourra s’appuyer partout en Europe. Il faut s’organiser ensemble pour créer les conditions qui contraignent les employeurs et trafiquants en tout genre afin que les abus cessent» précise Renata Tretiakova de l’espace international de la CGT.

«La Confédération européenne des syndicats doit prendre conscience de la nécessité de faire des actions collectives entre syndicats européens. Le syndicalisme européen doit prendre en compte cette dimension» conclut Jean-François Sobecki.


A LIRE DANS LA PROCHAINE NVO

Routiers lituaniens, travailleusr polonais de l’aide à domicile ou ouvriers lettons du bâtiment, les syndicalistes du colloque témoignent des conditions de travail des travailleurs détachés de leur secteur et des actions transfrontalières qu’ils ont mis en place. 


NOS ARTICLES SUR LE SUJET (plus d’articles sur le détachement dans les archives, payantes)


ACRONYMES

  • Cartel Alfa : Confédération syndicale roumaine regroupant 45 fédérations 


  • CSIT – UP (Coalición sindical independiente de trabajadores-Unión profesional) syndicat madrilène des personnels de l’administration publique


  • OPZZ (All-Poland Alliance of Trade Unions) Confédération syndicale polonaise


  • LPSK (Lithuanian Trade Union Confederation) Regroupe 36 fédérations de Lituanie 


  • 

LCA (Latvian Builders Trade Union). Le syndicat des ouvriers du bâtiment de Lettonie