Le 10 mai, François Hollande inaugurait le Mémorial ACTe en Guadeloupe, consacré au souvenir de la traite négrière et de l'esclavage. Le débat sur les réparations était relancé, faisant resurgir la loi de 1849 et l'indemnisation des colons.
«La France est capable de regarder son histoire en face», déclarait le président de la République, le 10 mai, en inaugurant le Mémorial ACTe à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).
Le Centre caribéen d'expressions et de mémoire de la traite et de l'esclavage, qui ouvrira en juillet prochain, s'étend sur 4 350 m² et suscite déjà la polémique. Son coût, estimé à 83 millions d'euros, fait grincer des dents, alors que la situation en Guadeloupe est désastreuse.
«Quand il n'y a pas d'eau dans les communes, quand l'hôpital est endetté jusqu'au cou, quand le chômage culmine à 60% chez les jeunes, je m'interroge sur l'urgence d'une telle dépense», déclare l'écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé (1). Elie Domota, secrétaire général de l'Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), qui a boycotté l'inauguration, rappelait le 10 mai au micro de France Inter (2) : «Aujourd’hui, la Guadeloupe, (…) c'est pratiquement 30 à 33% de la population active qui est au chômage, c'est un taux d'illettrisme qui dépasse les 25% de la population.»
DES RÉPARATIONS COLLECTIVES
Ce 10 mai , Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions, célébrée depuis 2006 et issue de la loi Taubira de 2001, fut une nouvelle fois l'occasion d'évoquer les réparations collectives, réclamées par certaines associations comme le Cran, Conseil représentatif des associations noire de France.
«La seule dette qui doit être réglée» aux descendants d'esclaves est de «faire avancer l'humanité»,répondait le président de la République, en refusant toute indemnisation financière. Elie Domota reprochait lui aussi ce 10 mai à François Hollande de considérer, en refusant les réparations, que «la colonisation était une bonne chose, l'esclavage était une bonne chose».
Le syndicaliste rappelle encore les indemnisations accordées aux propriétaires d'esclaves, lors de l'abolition de l'esclavage qui leur ont permis «d'asseoir leur domination économique et sociale, de créer des banques et de faire en sorte que l'économie coloniale soit préservée». Déclarant : «Ce que nous demandons, c'est l'abrogation de ces textes de 1848 et 1849 qui ont indemnisé les colons, car ils ne sont pas conformes à la Constitution française.»
L'INDEMNISATION DES COLONS
Début mai, la Fondation Frantz-Fanon, le LKP, l'UGTG et le Cose (Collectif de l'Ouest de Sainte Rose et environs) ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur les textes de 1848 et 1849. Revenons à ces fameux textes quelque peu oubliés. Si l'on vante à juste titre le décret du 27 avril 1848 abolissant l'esclavage, affirmant dans son préambule: «l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine (…); une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Egalité, Fraternité», on oublie que son article 5 institua l'indemnisation des esclavagistes.
Ce dernier précise que «l'Assemblée nationale réglera la quotité de l'indemnité qui devra être accordée aux colons». S'il pose le principe d'une indemnisation, l'article reste vague quant à ses modalités. Très vite, une commission est mise en place pour y réfléchir, devant aboutir à une loi. Victor Schœlcher en fait partie. S'il envisage d'étendre l'indemnité aux anciens esclaves comme l'attribution d'un lopin de terre, il ne sera pas entendu.
La commission conclura dans un rapport : «Ne pas aller au secours des colons, dans la position ruineuse que leur fait l'acte d'émancipation, ce serait perdre nos derniers établissements d'outre-mer, au grand dommage de la richesse publique, de notre puissance maritime et de l'influence française dans le monde.».
LE PRIX DES ESCLAVES
Trois séances à l'Assemblée se déroulent les 19 janvier, 23 et 30 avril 1849 pour trancher la question. Emiland Menand, député de Saône-et-Loire, propose un amendement pour une répartition à parts égales de l'indemnité entre les colons et les esclaves. Il ne sera pas discuté. En fait, l'argument économique du ministre des Finances Passy, qui voit dans l'indemnisation des colons le moyen de redynamiser les territoires, va prévaloir.
Ce dernier déclare : «Ce qu'il faut, c'est la restauration du crédit qui leur manque. Voilà la première des nécessités coloniales à laquelle il faut pourvoir. C'est le crédit qui, seul, rendra aux colonies la vie, l'activité, le mouvement dont elles ont besoin.» Le 30 avril 1849, une loi est donc votée qui détermine en onze articles les modalités d'indemnisation des colons.
L'article premier dresse une liste des colonies concernées par la loi d'indemnisation. Il s'agit de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de La Réunion, du Sénégal, de Nossi-Bé et de Sainte-Marie. Après avoir défini une somme par esclave libéré selon chaque colonie (711 francs à La Réunion, 469 francs en Guadeloupe, 69 francs à Sainte-Marie…), la loi octroie quelque 12 millions de francs or d'indemnités aux colons pour quelque 248 000 esclaves libérés : la moitié quasi immédiatement, l'autre, sous forme de rente annuelle et ce, pendant vingt ans. Et rien pour les victimes de l'esclavage.
En d'autres termes, comme le résume Louis-Georges Tin, président du Cran, «on estima que les esclaves devaient s'estimer heureux déjà d'avoir recouvré la liberté et, finalement, les indemnités furent versées aux anciens esclavagistes et aux békés, qui virent leur domination coloniale et raciale non pas remise en cause, mais bien plutôt reconnue et renforcée (3)».
(1) Le Journal du dimanche, le 3 mai 2015.
(2) Intervew de Elie Domota sur France Inter le dimanche 10 mai 2015
(3) Le livre de Louis-Georges Tin.Voir ci-dessous
Esclavage et réparations.
Comment faire face aux crimes de l'histoire,
de Louis-Georges Tin,
éd. Stock, 2013.