En réponse à la dernière attaque du ministre Macron contre le statut de la fonction publique, la NVO a souhaité revenir sur la conception républicaine du statut général de la fonction publique. Avec Jean-Marc Canon, secrétaire de l'union générale CGT des fédérations de fonctionnaires, et Anicet Le Pors, père fondateur du Statut général de 1983.
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ENTRETIEN AVEC JEAN-MARC CANON, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'UGFF – CGT
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Après les 35 heures et le Code du travail, le ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, s'est attaqué au statut de la fonction publique. Comment réagissez-vous à cette nouvelle attaque ?
Quand c'est un ministre de la République important qui fait de telles déclarations, il y a tout lieu d'être inquiet. Même si nous avons l'habitude de ces déclarations, qui sont monnaie courante, mais lorsqu'elles viennent du camp des libéraux et de la droite. Souvenons-nous que, dès les premiers jours de son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait tenu les mêmes propos.
Quelle interprétation donnez-vous à cette déclaration de la part d'un ministre d'un gouvernement socialiste ?
J'y vois le projet d'en finir avec le statut général de la fonction publique. Car, pour ce gouvernement, comme pour le précédent d'ailleurs, la fin du statut, c'est la fin du modèle social français hérité du Conseil national de la Résistance, modèle qui est d'ailleurs attaqué de toutes parts.
Le président Hollande a pourtant démenti son ministre, et réaffirmé son attachement au statut.
Mais il n'y a pas lieu d'être rassuré par l'argument de l'attachement, tout le contraire, et d'autant plus que le démenti du président de la République apparaît très faible et que cette énième sortie de Macron contre la fonction publique correspond très clairement à la volonté de certains, libéraux et patronat en tête.
Quelle est la réponse de la CGT ?
Nous rappelons d'abord ce principe, très important, que le statut n'est pas fait pour les fonctionnaires, mais pour les citoyens, pour les usagers des services publics, car c'est bien ce statut qui leur permet d'avoir des agents neutres et en capacité de résister aux pressions politiques pour servir l'intérêt général et garantir l'égalité de traitement de tous les citoyens.
Or, c'est bien ce principe de l'intérêt général et non de supposés privilèges des fonctionnaires que monsieur Macron veut passer par pertes et profits, et c'est la suite logique de toutes ses actions. On le voit à travers la réforme du Code du travail, on l'a vu avec les lois sur le travail de nuit et du dimanche, avec les 35 heures qui seraient une erreur, etc.
Bref, tout doit disparaître, dans le public comme dans le privé. Et ces menaces interviennent paradoxalement à un moment où nous, les syndicats, sommes en pleine négociation d'un parcours professionnel, carrières et rémunérations (PPCR) – qui sera finalisé le 29 septembre – avec la ministre de la Fonction publique, Marylise Lebranchu.
Laquelle ministre, dans le préambule de ce protocole d'accord dit et redit tout son attachement, et celui du gouvernement, au statut général de 1983 qui est « porteur d'avenir et de modernité », au principe du concours d'entrée dans la fonction publique, etc. Nous sommes donc là en pleine schizophrénie gouvernementale. Mais, ce qui est certain, c'est que monsieur Macron ne perd aucune occasion de voler au secours de ceux qui veulent en finir avec notre modèle de société.
Le statut des fonctionnaires peut-il néanmoins être réformé pour le moderniser ?
Il faut sortir de cette fausse image d'un statut poussiéreux, qui ne serait plus adapté ni plus adaptable, c'est totalement contraire à la réalité. Et d'ailleurs, il a été modifié plus de 200 fois depuis 1983, et la CGT a été, et est toujours, prête à négocier son adaptation aux nouvelles exigences de la société. Mais certainement pas pour le casser, alors que c'est bien cela que vise monsieur Macron.
Comme d'autres ministres avant lui, Macron rêve d'un « spoil-system » à l'américaine où chaque nouveau gouvernement élu, pour pouvoir compter sur la loyauté partisane des fonctionnaires, peut remplacer ceux qui sont en place par ses propres fidèles. Voilà quel est en réalité le vrai sujet du débat, que nous, la CGT, allons réclamer : voulons-nous une fonction publique garante de l'intérêt général, de l'égalité de traitement des citoyens ?
Car ce sont bien ces garanties que Macron a dans le viseur. Or, démanteler ce principe, cela revient à avoir des fonctionnaires aux ordres et des services publics soumis à la loi du marché. Voulons-nous cela ? La question doit être posée, car tel est le projet de monsieur Macron, dont on ne me fera pas croire qu'il tienne de tels propos par inadvertance.
Je note d'ailleurs une grande cohérence entre toutes les réformes engagées qui visent, toutes, le même objectif : en finir avec une société de progrès social pour la remplacer par une société « aux ordres » où les salariés n'ont d'autre option que de s'adapter aux seules exigences du patronat.
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ENTRETIEN AVEC ANICET LE PORS
Il est aujourd'hui conseiller d'État honoraire et a été ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives dans les gouvernements Mauroy, de juin 1981 à juillet 1984. anicetlepors.blog.lemonde.fr |
Pouvez-vous nous rappeler la genèse et le sens qui a présidé à l'élaboration du statut actuel de la fonction publique ?
Le statut actuel résulte de quatre choix successifs, élaborés durant les années 1983, 1984 et 1986.
Premier choix, celui de la conception du fonctionnaire citoyen – qui a comme justification centrale de servir l'intérêt général et d'assumer les responsabilités qui lui sont confiées – contre le choix du fonctionnaire sujet, c'est-à-dire soumis à un principe hiérarchique, qui avait prévalu au XIXe siècle et pendant la première moitié du XXe siècle.
Deuxième choix, celui du système de la carrière contre celui de l'emploi. Il s'agissait là d'assurer la neutralité du service public, et donc de placer le fonctionnaire à l'abri de l'arbitraire administratif et des pressions économiques ou politiques, d'où l'indispensable garantie d'emploi du fonctionnaire sur l'ensemble de sa vie professionnelle.
Troisième choix, celui d'assurer le délicat équilibre entre l'unité de la fonction publique et la diversité de ses composantes. D'où une fonction publique « à trois versants » (d'État, territoriale et hospitalière).
Quatrième choix : celui des principes sur lesquels fonder la conception française de la fonction publique: le premier, l'égalité, est tiré de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (DDHC) de 1789. Le deuxième, l'indépendance, prévoit la séparation du grade et de l'emploi, caractéristique du système dit « de la carrière » et qui protège le fonctionnaire, propriétaire de son grade, des pressions politiques et économiques. Troisième principe, la responsabilité (article 15 de la DDHC) qui signifie que tout agent de la fonction publique doit rendre compte de son administration. C'est donc sur des principes enracinés dans notre histoire qu'a été fondée notre conception de la fonction et des services publics.
Parmi ces principes, quelle est, selon vous, la cible du ministre Macron ?
Il me paraît évident que c'est la conception d'intérêt général qui est visée, alors même qu'elle est aujourd'hui encore plus importante, plus nécessaire que jamais du point de vue de la société.
Le ministre Macron, comme d'autres avant lui, notamment sous le précédent quinquennat, tente là d'imposer une vision dictée par l'économie libérale où le service public est une exception à la règle de la concurrence et où l'intérêt général se définit comme la somme des intérêts particuliers.
Où, c'est donc le marché qui gère ces intérêts, et non plus le fonctionnaire qui en est le garant. Or, le marché peut-il répondre à la nécessité de servir l'intérêt général suivant le principe de l'égalité ? Évidemment non, et c'est donc bien à ce principe que le ministre, comme ses prédécesseurs, veut s'attaquer aujourd'hui.
Le statut peut-il et doit-il évoluer ? Quelles modifications préconiseriez-vous ?
Un texte qui n'évolue pas est un texte appelé à se scléroser et à disparaître. Et, d'ailleurs, le statut élaboré en 1983 n'a cessé d'évoluer avec la société. En 30 ans, il a connu 225 modifications législatives et plus de 300 modifications réglementaires dont certaines étaient pertinentes et d'autres, des dénaturations.
On ne peut donc pas dire que le statut soit figé. Le ministre reprend de vieilles attaques réactionnaires contre le statut sans les justifier. Pour ma part, je considère qu'aucun texte n'est sacré. Il y aurait d'importantes réformes à mener.
D'abord, assainir la situation en épurant le statut des dénaturations apportées par la droite, notamment dans la fonction publique territoriale, afin que l'on ne puisse pas énoncer dans l'avenir, comme pour le Code du travail, un statut trop complexe. Ensuite, engager ou mettre en perspective des chantiers de réformes structurelles.
Par exemple, instaurer une véritable gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences ; donner à la garantie fondamentale de mobilité une traduction juridique plus satisfaisante ; mettre en place un système de bi- ou multicarrières, la durée de la vie professionnelle augmentant, ce qui suppose un système de formation continue particulièrement ambitieux ; promouvoir l'égalité des femmes et des hommes dans l'accès aux emplois supérieurs des fonctions publiques : mieux circonscrire le recours aux contractuels, etc.
Enfin, j'attache une importance particulière à l'organisation de la convergence des intérêts entre salariés du public et du privé. À l'inverse de la solution prônée par les libéraux, qui consisterait à généraliser le contrat à la fois individuellement et collectivement (ce que proposait Sarkozy en 2007 et ce que suggère Macron aujourd'hui), il faut faire progresser la situation d'ensemble des salariés dans le respect de la spécificité de l'intérêt général servi par les fonctionnaires.
C'est pourquoi, au-delà des améliorations à apporter au statut général, il faut, à mon avis, renforcer la base législative de la situation des salariés du secteur privé.