Latécoère, malade imaginaire
« Qu'on nous laisse bosser ! » Lorsque Fred s'empare du micro, l'ouvrier résume les paroles qui résonnent, mercredi 21 septembre, devant le portail du siège social de l'équipementier. Depuis, la colère a franchi un cap. La CGT Latécoère a appelé les salariés de l'usine toulousaine à débrayer pour dénoncer le plan « Transformation 2020 », mercredi 28 septembre.
Car Latécoère n'a pas besoin de licencier, de délocaliser, de fermer ou de vendre ses usines, de démembrer le groupe par un projet de cession ou de liquider ses actifs comme la direction de l'équipementier le préconise depuis le 7 juin. « Je voudrais lui demander de faire preuve d'un peu de bons sens », ajoute Fred, avec l'approbation de la centaine de salariés et de militants présente ce jour-là. La situation, en effet, ne prête pas le flanc à la panique.
Le groupe, qui s'apprête à célébrer son centenaire, affiche sur l'exercice 2015 un beau check-up : 38 millions d'euros de résultat opérationnel et un carnet de commandes équivalant à près de quatre ans de chiffre d'affaires, par exemple.
C'est l'heure de la saignée…
« Latécoère à l'instar de la filière aéronautique va bien, martèle le délégué syndical CGT Florent Coste. Le secteur est historiquement prospère, avec une production mondiale multipliée par 10 en trente ans et 30 000 avions à produire d'ici à l'horizon 2030-2035. »
L'équipementier français pourtant, qui cumule les atouts en étant à la fois le doyen de la filière et un partenaire de rang 1 pour les avionneurs, jure qu'il est malade. Le diagnostic paraît avant l'été, lorsque la multinationale présente une ordonnance baptisée « Transformation 2020 ».
Objectifs affichés, afin de satisfaire les desiderata posés par Apollo et Monarch qui contrôlent le groupe depuis l'automne 2015 : dégager du cash pour restaurer la capacité du groupe à répondre aux nouveaux programmes qui seraient lancés d'ici à 2020/2025 par Airbus et Boeing.
« Le souci, ironise Florent Coste, c'est que Latécoère n'est pas malade. Si la dette a marqué le groupe et ses choix stratégiques depuis vingt ans, entre autres choses à cause du modèle économique dit de “risk sharing partnership” imposé par les donneurs d'ordre, l'entreprise aborde un nouveau cycle. Elle va percevoir le retour de ses investissements et produire des liquidités. Apollo et March le savent, sinon ils n'auraient pas jeté leur dévolu sur elle. »
L'heure de la révolte aussi
Si les PSE et la cession programmés ne sont pas voués à soigner une entreprise malade, à quoi servent-ils ? À valoriser les actifs plutôt qu'à développer l'outil industriel, afin de permettre à Apollo et Monarch de récupérer leur mise de départ. « Un millier d'emplois est visé, dont près de 400 directement et immédiatement menacés, conclut le délégué syndical CGT, sans compter le dépeçage de Latécoère qui place le groupe en état d'être vendu à la découpe ou d'être absorbé. »
Un comité de défense s'est mis en place afin d'épauler et de faire écho à l'action syndicale. À compter du vendredi 30 septembre, les représentants syndicaux doivent rencontrer le préfet de région et des élus locaux. Affaire à suivre.
Le projet de restructuration « Transformation 2020 » affecte chacune des trois branches du groupe : plans de délocalisation et de licenciement chez Latécoère SA ; démantèlement de l'usine historique à Toulouse, siège du groupe ; cession de Latécoère Services, la branche d'ingénierie et de conception/production d'outillages du groupe ; fermeture de l'usine de Tarbes de la branche « câblage » Latelec.
Les emplois permanents, détruits ou menacés, le sont tous dans la région Occitanie : près de 250 chez Latécoère SA à Toulouse, 600 chez Latécoère Services en région toulousaine et une trentaine à Tarbes, dont autant de postes temporaires.