Après une interruption temporaire du mouvement, les travailleurs de la filière des déchets à Paris et de sa proche banlieue repartent en grève illimitée ce jeudi 13 avril à l’appel des divers syndicats CGT qui organisent la filière. Tôt ce matin, grévistes et manifestants étaient sur le pont. Reportage.
« Alors ça y est, c’est la reprise ? » Rémi, fonctionnaire à la mairie de Saint-Ouen, chasuble CGT sur le dos et sourire aux lèvres, arrive en vélo à l’incinérateur de la commune. Il est 8h30 et devant la société Tiru (traitement industriel des résidus urbains), une trentaine de personnes sont déjà présentes. Des salariés de Paprec, l’exploitant de l’usine d’incinération, mais aussi des soutiens, syndiqués ou non, enseignants, intermittents, salariés des entreprises environnantes, venus prêter main-forte aux grévistes. Un barrage filtrant laisse entrer les bennes à ordures au compte-gouttes. Une toute les quinze minutes. De l’autre côté de la rue, une patrouille de police surveille.
Entamée le 6 mars, la grève reconductible menée par les travailleurs de la filière du déchet de Paris et sa proche banlieue avait été temporairement interrompue après vingt-deux jours de mobilisation. Plus assez de grévistes, avait fait savoir le syndicat Filière traitement des déchets, nettoiement et eau, égouts, assainissement (FTDNEEA) de la ville de Paris. Les travailleurs du secteur s’étaient distingués par une lutte très suivie, et très visible dans les rues de Paris : près de 80 % de grévistes (au démarrage) parmi les 5000 éboueurs de la ville de Paris, des grèves également dans l’entreprise Pizzorno (qui collecte les déchets dans le XVe arrondissement de Paris), au centre de tri-transfert des déchets à Romainville (Seine-Saint-Denis) et des mobilisations sur les différents sites d’incinération dont une occupation nuit et jour du plus grand incinérateur d’Europe à Ivry-sur-Seine, par les éboueurs et les égoutiers grévistes de la ville de Paris…
Acte 2 du mouvement
« Ici, le 6 mars, on était 70 % de grévistes », se souvient Yann Lavaud, chaudronnier à la Tiru de Saint-Ouen, en grève aujourd’hui. Le mouvement a occasionné un manque à gagner conséquent à Paprec : jusqu’à 75 000 euros par jour de grève. « Ça a été physiquement éprouvant, se remémore Antony Campana, délégué syndical CGT du site. On était là de 6h à 22h…» Ici, comme à la Tiru d’Ivry, les salariés bénéficient du statut des électriciens-gaziers (IEG), que la réforme des retraites doit supprimer. À la veille de la décision du Conseil constitutionnel sur la validité du texte, il s’agissait donc de montrer que la détermination était toujours intacte.
Ce jeudi 13 avril signe l’acte 2 du mouvement. Les syndicats de la CGT qui organisent les éboueurs, ripeurs, balayeurs, égoutiers, ouvriers, conducteurs, adjoints techniques, encadrants, cadres de l’assainissement, du nettoiement, de la collecte des déchets des centres de tri et des incinérateurs de Paris, et de sa première couronne, ont appelé à reprendre la grève. À Saint-Ouen, le taux de grévistes s’élèverait à « 20 % » selon les premières estimations, ce qui n'empêche pas le blocage quasi total du site. Interrogée par Le Figaro, la mairie de Paris a fait savoir que la collecte des déchets était aujourd’hui fortement perturbée. « À cette heure, tous les sites du Syctom [ l’agence des déchets ménagers de la métropole parisienne, soit les Tiru de Saint-Ouen, Issy-les-Moulineaux, Ivry-sur-Seine et Romainville ] sont bloqués », a ainsi indiqué la municipalité. À Saint-Ouen, comme sur les différents points stratégiques du secteur, les salariés peuvent compter sur le soutien de militants. Ainsi de Théo, intermittent de 32 ans, actif sur une quinzaine de blocages depuis le début du mouvement : « Je pense que les blocages sont les moyens d’action les plus efficaces pour soutenir les travailleurs et les travailleuses en grève. On les poursuivra jusqu’au retrait de la réforme. » Éric Coquerel, député insoumis de la première circonscription de Seine-Saint-Denis a également fait le déplacement. « C’est un moyen de soutenir et d’encourager le mouvement, et d’éviter les débordements avec la police pour éviter que cela ne se passe comme à Aubervilliers…»
Sept arrestations à Aubervilliers
La présence de la députée insoumise Nadège Abomangoli au blocage du garage d’Aubervilliers n’a pourtant pas suffit à empêcher les violences policières. Plus tôt dans la matinée, 150 manifestants s’étaient donnés rendez-vous à 5h15 devant le garage à bennes d’Aubervilliers à l’appel de l’UL-CGT d’Aubervilliers. Le garage, géré par la ville de Paris, collecte les déchets des XVIIe et VIIIe arrondissements de la capitale. Depuis plusieurs semaines, de nombreux militants se retrouvent devant les grilles des différents garages de la ville pour bloquer la sortie des camions dans le but de ralentir, ou de stopper, les collectes et de convaincre les non-grévistes de rejoindre la lutte. À Aubervilliers, ce matin, sur les 30 travailleurs du site, une dizaine se déclarent grévistes. Le blocage se poursuit jusqu’à 7h30, lorsque les salariés, réunis en AG, votent à l’unanimité la grève jusqu’à la fin de la tournée. Une charge policière musclée se déploie alors pour lever le blocage, engendrant plusieurs blessés. Sept manifestants dont trois syndicalistes de la CGT du livre et un de Sud éducation 93 sont alors arrêtés et emmenés au commissariat d’Aubervilliers.
Au garage de Romainville, après un barrage filtrant les sorties des camions jusqu’à 7h, les forces de l’ordre ont délogé la quarantaine de manifestants présents avec la garde montée.
À la Tiru d’Ivry-sur-Seine, salariés en grève, manifestants et élus se sont également retrouvés nez à nez avec un important dispositif policier. Des éboueurs et égoutiers de la ville de Paris en grève sont toutefois parvenus déjouer le blocage des forces de l’ordre et à pénétrer dans l’incinérateur afin d’y dérouler une imposante banderole « 100 % Public = + de moyens pour un service de qualité pour tous ». Venue à la Tiru d’Ivry-sur-Seine pour soutenir les grévistes, Sophie Binet y a ce matin tenu une conférence de presse, avant de rejoindre la manifestation. Demain, les rendez-vous sont pris. Même heure, même lieux.