À qui profite la violence ?
Plus une manifestation sans affrontements violents. Depuis avril, les manifestations sont sous tensions, des blessés dus aux gazages et aux matraquages policiers se comptent par centaines, des interpellations tombent au hasard sur de jeunes manifestants, des procédures judiciaires s'ensuivent… Tout semble fait pour dégoûter les opposants à la loi El Khomri de rejoindre les cortèges. Est-ce un hasard ? Alexandre Langlois, gardien de la paix au renseignement territorial et secrétaire général de la CGT police revient sur ces deux mois de mobilisation vraiment hors norme.
NVO : QUELLE ANALYSE FAITES-VOUS DES VIOLENCES POLICIÈRES QUI, DEPUIS LE DÉBUT DU MOUVEMENT SOCIAL CONTRE LA LOI EL KHOMRI, NE CESSENT DE SE REPRODUIRE, DE MANIFESTATIONS EN MANIFESTATIONS ?
Alexandre Langlois : Tout d'abord je ferai une distinction entre ces violences. Il y a des violences qui se font conformément à la loi. Il s'agit d'un usage légitime de la force publique pour assurer la sécurité ; et les actes isolés des « cow-boys » qui doivent être jugés au tribunal et donner lieu à sanction administrative.
Et puis, il y a un entre-deux dans lequel nous sommes aujourd'hui et que j'explique par l'application bête et méchante du nouveau Code de la déontologie de la police mis en place le 1er janvier 2014. Avec ce Code, nous sommes passés de la défense des institutions de la République, à la défense des institutions tout court ! Ce qui signifie que le gouvernement peut se servir des forces de l'ordre pour réprimer de manière violente toutes protestations sociales contre sa politique.
Pour nous, c'est plus qu'un symbole qui a été rayé d'un trait de plume, c'est le sens de notre métier, de notre fonction au service du public. Mon syndicat qui a une conception républicaine de la police ne se reconnaît plus dans une codification qui a rayé d'un trait « Libertés » et « République ». Très rapidement, avec le coup-de-poing d'un policier envers un lycée en avril, le rapport entre les manifestants et les forces de l'ordre s'est tendu.
VA-T-ON VERS UNE ESCALADE ?
Les casseurs s'infiltrent dans les manifestations et sèment la zone. Ils sont très organisés. Les ordres aux policiers arrivent tard, et les casseurs ne sont plus là quand les policiers interviennent. Parfois sans avoir la possibilité de faire les trois sommations d'usage. Du coup, ce sont surtout les manifestants qui se font charger et gazer.
De part et d'autre, il y a de l'exaspération. L'un se venge du gars qui lance des bouteilles sur sa compagnie de CRS à coup de matraque et l'autre se venge du flic qui a la matraque facile en lançant des canettes…
Les renseignements généraux constatent depuis une dizaine d'années une double évolution : les manifestants sont plus pacifiques qu'avant et les casseurs, qui agissent en bandes organisées, sont toujours plus violents. Ils s'équipent devant les policiers sans qu'il ne se passe rien. Il faut savoir que sur des dispositifs de maintien de l'ordre, les policiers n'interviennent que sur ordre de la hiérarchie. Et, là, il n'y a aucune consigne pour les arrêter.
Résultat : les manifestations « dérapent » alors que les manifestants ne sont pas venus pour ça
Résultat : les médias audiovisuels ne parlent que de ça et n'informent pas sur le fond.
CETTE MANIÈRE DE FAIRE DIVERSION EST-ELLE DANGEREUSE ?
Bien sûr. Le pouvoir politique instrumentalise la police. La violence fait diversion au fond du problème qui est la violence sociale de sa politique. Mais cette violence des casseurs est aussi très utile. Elle sert à non seulement à démobiliser les manifestants, mais aussi à façonner une opinion publique apeurée. Et, dans ce micmac généralisé, la police sert de bouc émissaire.
PEUT-ON, POUR AUTANT, PARLER D'UN STRATAGÈME D'ETAT POUR FAIRE DÉGÉNÉRER LE MOUVEMENT SOCIAL ?
Réellement, ça y ressemble ! Le 9 avril, les renseignements généraux alertent qu'un groupe de 200 à 300 personnes débarque gare du Nord pour aller perturber Nuit debout, à République. Une compagnie de CRS se trouve sur leur passage, prête à intervenir.
Mais l'ordre leur est donné par la préfecture de se pousser dans une rue adjacente pour les laisser passer. C'est ce jour-là qu'un commissariat est dégradé. Par contre, quand les mêmes casseurs ont décidé de poursuivre leur périple en direction du domicile privé de Manuel Valls, là les ordres ont été clairs et les interventions ont eu lieu.
De même, le 1er mai, la place de la Nation devient une souricière dont on ne peut s'échapper. Le scénario se reproduit lors de la manifestation aux Invalides. Personne ne peut évacuer la place et pourtant la police fait usage de lacrymogènes pour évacuer. Ce ne peut pas être des coïncidences.
Le message est clair : « Casseurs, venez, cassez » et « Manifestants, rentrez chez vous, c'est dangereux ».