Le bras de fer de Bretton Woods
Lire la suite
L'Union bancaire européenne est « un accord historique ». Désormais, « nous disposons d'un système véritablement européen pour superviser toutes les banques de la zone euro et traiter leurs faillites éventuelles », se réjouissait Michel Barnier, commissaire européen chargé des services financiers, qui rappelait précédemment : « Il faut que les banques payent pour les banques, et plus les contribuables, comme on l'a vu depuis cinq ans. »
La série de textes adoptés par le Parlement européen, le 15 avril dernier, à la veille des élections européennes du 25 mai, prévoit en effet que : « Le système européen sera conçu pour que l'argent des contribuables soit mieux protégé, en faisant en sorte que les banques soient en première ligne et paient pour leurs propres erreurs », précisait l'eurodéputée Elisa Ferreira. « Il s'agit de prolonger la monnaie unique en imposant aux banques de la zone euro un cadre unique de réglementation et de surveillance », résume, plus prosaïque, Jean-Marie Roux, membre de la CE de la fédération des Finances CGT.
Jusqu'à maintenant, l'activité des banques de l'UE était régie par les mêmes directives, mais l'interprétation de ces règles et surtout le contrôle de leur application relevait des seules autorités nationales. Or, la crise de 2007 a montré que cette organisation ne permettait pas de faire face efficacement aux situations générées par des établissements qui, non seulement ignorent les frontières, mais savent également utiliser à leur profit les spécificités nationales.
Rappel du coût de la débâcle : plusieurs plans de sauvetage des banques au frais du contribuable, estimés entre octobre 2008 et janvier 2011 à 1 600 milliards d'euros, soit 13,1 % du PIB européen (1), approvisionnements de liquidité massifs, notamment le prêt par la Banque centrale européenne (BCE) aux banques privées de 1 000 milliards d'euros à taux d'intérêt bas pour favoriser le financement de l'économie réelle… « Cette fragilité faisait peser un risque sur l'ensemble du système financier européen, et donc sur les économies réelles, précise le syndicaliste. Mais elle pouvait aussi potentiellement menacer l'existence même de la zone euro, d'autant que les marchés financiers ne se privent pas de jouer sur cette faiblesse. » Faute d'une remise en cause du système financier actuel, une surveillance et une « gouvernance » bancaires européennes se sont imposées comme la suite logique de la crise financière.
Le 12 septembre 2013, les parlementaires européens approuvaient à une large majorité la création d'un mécanisme européen unique de surveillance bancaire (MSU). Concrètement, à compter de novembre 2014, la BCE assumera la responsabilité de la surveillance de toutes les banques de la zone euro mais n'en contrôlera directement que 130 (sur 6 000), celles dont le bilan dépasse 30 milliards d'euros ou qui pèsent plus de 20 % du PIB de leur pays d'origine – en France cela devrait concerner BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale et Banque populaire-Caisse d'épargne. Les autres resteront soumises au contrôle des autorités de surveillance nationales, mais la BCE pourra reprendre la main au cas par cas si elle le juge nécessaire. Les autorités nationales continueront à jouer un rôle important : elles conserveront les missions de protection des consommateurs, de lutte contre le blanchiment d'argent… et assureront, sous tutelle stricte de la BCE, la surveillance courante des banques relevant de celle-ci et la mise en œuvre de ses décisions.
Ses pouvoirs n'en seront pas moins considérables puisqu'elle sera garante du respect par les plus grandes banques de la zone euro des règles et ratios prudentiels (2) qui leur sont imposés. À cet effet, elle disposera de pouvoirs d'enquête (en coopération avec les autorités nationales), d'injonction et de sanction (pouvant aller jusqu'au retrait d'agrément).
Pour éviter tout conflit d'intérêt avec la conduite de la politique monétaire, cette nouvelle mission sera confiée à un « comité de surveillance », logé au sein de la BCE et composé des contrôleurs nationaux, de quatre membres de la BCE, d'un président et d'un vice-président. Les décisions de cette instance devront toutefois être validées par le conseil des gouverneurs de la BCE. En outre, les pays européens non-membres de la zone euro pourront, s'ils le souhaitent, participer au MSU. Dans ce cas, ils seront représentés au sein du comité de surveillance. Trois pays, le Royaume-Uni, la Suède et la République tchèque, ont refusé de s'y associer.
Deuxième élément de l'union bancaire, le mécanisme de résolution unique (MRU) met en place un processus unique européen (le même pour tous) pour déterminer si une banque – qui fait partie du MSU – est en difficulté et décider des démarches à entreprendre pour résoudre ces problèmes.
Il s'appuie sur deux éléments importants :
Troisième élément de l'union bancaire, la directive sur la garantie des dépôts a été renforcée et suppose désormais que :
L'architecture du mécanisme de résolution repose essentiellement sur des critères techniques. Son objectif premier est que cette structure puisse décider en un week-end du sort d'une banque en difficultés sans que le pays d'origine de la banque puisse empêcher sa fermeture. Cela dit, le ministre des Finances du pays concerné sera associé à la décision pour toute banque dont les fonds dépassent 5 milliards d'euros. « C'est du bon sens, mais ça évince aussi les politiques, explique Jean-Marie, membre de la direction de la fédération des finances CGT. Les techniciens, c'est-à-dire la Commission européenne en lien avec des représentants du secteur bancaire, décideront au détriment du Conseil des ministres. C'est un fédéralisme technocratique qui se met en place et en faveur duquel le Parlement européen a massivement voté. »
On retrouve la même logique dans le mécanisme de supervision confié à la BCE. Le principe selon lequel une instance se charge du contrôle des banques est cohérent avec la logique européenne, la monnaie unique, etc. C'est le type de gouvernance et le risque d'hypercentralisation qui sont problématiques.
Un texte a été signé entre le Parlement européen et la BCE pour lui garantir un droit de regard, mais cela reste insatisfaisant pour la CGT. La question de fond réside dans l'indépendance de la BCE. Qu'elle jouisse d'indépendance au niveau de son fonctionnement quotidien est normal, mais pour le reste « elle devrait être entre les mains des autorités politiques, ça rejoint la question : qui prend le dessus sur qui, le politique sur la finance ou l'inverse ? lâche le syndicaliste. Dans les décisions actuelles, c'est le technocratique qui l'emporte. Et derrière les technocrates, il y a les marchés. Autant elle est indépendante des politiques, autant elle est complètement au service des intérêts des marchés financiers ». Sinon, pourquoi lutter à tout prix contre l'inflation – qui pénalise d'abord les rentiers ? Pourquoi toujours pointer le coût du travail pour relancer la croissance ? Pourquoi nommer un président – Mario Draghi – issu de Goldman Sachs ?
Autre avantage pour les banques : un contrôle européen, réclamé depuis longtemps puisque plus lointain et moins pointilleux. « Nous ne sommes pas défavorables à un contrôle européen, ni à ce que la BCE s'en charge, étant donné que cette mission est complètement liée à la politique monétaire, mais il aurait fallu que ce soit articulé à des contrôleurs nationaux et politiques. Or, ce n'est pas le choix de la BCE. Pourquoi avoir chargé un cabinet d'audit américain – Oliver Wyman – déjà présent dans plusieurs restructurations bancaires européennes à la suite de la crise et ayant mal jugé, en 2006, la banque irlandaise Anglo Irish Bank comme la meilleure du monde, alors qu'elle était en faillite trois ans plus tard ? »
L'Union bancaire n'en apporte pas moins des éléments favorisant la régulation du système bancaire, mais rate l'essentiel : mettre la finance au service de l'économie. Prochaine étape : le débat sur la réforme des banques, violemment contestée par plusieurs gouvernements dont la France. Le nouveau Parlement la saisira-t-elle ?
(1) Rapport de la commission d'experts européens sur la réforme bancaire publié en octobre 2012, sous la direction d'Erkki Liikanen.
(2) Un ratio prudentiel se mesure en comparant le niveau des engagements d'une banque (montant prêté) au montant de ses fonds propres (capital apporté par les actionnaires et profit de la banque). C'est un minimum en dessous duquel une banque présente un risque d'insolvabilité.
Entretien vidéo d’Andréas Botsch, économiste, conseiller auprès de la Confédération européenne des syndicats (5 mn)
Lire la suite
Au lendemain du vote par le Parlement européen du dernier volet de l'Union Bancaire Européenne, questions à Andréas Botsch, économiste et conseiller à la CES, en charge des... Lire la suite