9 mai 2025 | Mise à jour le 9 mai 2025
Alors que la France et l’Europe prétendent déballer le tapis rouge aux scientifiques américains victimes de l’obscurantisme sous l’ère Trump, une intersyndicale dénonce une insupportable hypocrisie au regard de l’état exsangue de la recherche en France.
Deux salles, deux ambiances. D'un côté, le président Emmanuel Macron annonce, à l'occasion du raout Choose Europe for science organisé le 5 mai 2025 à la Sorbonne, une enveloppe supplémentaire de 100 millions pour attirer les chercheurs étrangers en France, en particulier les chercheurs américains victimes d'une chasse aux sorcières et des coupes budgétaires arbitraires sous le règne fascisant de Donald Trump. Cet asile a finalement été élargi à l'Union Européenne. La présidente Ursula von der Leyen a proposé une nouvelle enveloppe de 500 millions d'euros pour 2025-2027 afin de faire du vieux continent « un pôle d'attraction pour les chercheurs ».
Bâtiment délabré et démissions à la pelle
De l'autre, à l'Ifremer en Bretagne, Franck Jacqueline, délégué syndical central CGT-SNTRS (Syndicat National des travailleurs de la Recherche Scientifique) regarde le bâtiment se délabrer et les scientifiques démissionner à la pelle. Alors que leurs homologues américains de l'Agence d'observation océanique et atmosphérique (NOAA) se retrouvent dans les abysses trumpistes, le ministre Philippe Baptiste, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche a proposé de favoriser leur accueil à l'Ifremer. Or, d'après un rapport du cabinet Syndex réalisé en mars 2025 sur la situation économique et financière de l'Ifremer et remis au CSE, « la force de travail baisse encore, avec 56 Equivalent Temps Plein de moins qu'au budget. Si les frais de personnel progressent de 2,7% en 2024, il reste bien en deçà du budget avec une baisse des effectifs ». Un retard est pris sur les recrutements et « le budget 2025 souligne les insuffisances de financement, avec un déficit de 6,3 millions d'euros ». « Le bâtiment date de l'époque de De Gaulle. Du lierre pousse dans des bureaux. L'établissement est menacé de cessation de paiement en 2028 si la situation ne s'améliore pas. Notre flotte est insuffisamment entretenue, on perd des postes et on nous parle d'accueillir des chercheurs américains rémunérés dans les 5-6000 euros par mois alors que les salaires à l'Ifremer avoisinent les 2500 euros », interroge Franck Jacqueline.
Une recherche exsangue
De fait, c'est le décalage entre les annonces tonitruantes et l'état exsangue de la recherche en France qui indigne les syndicats. D'un côté, Emmanuel Macron se fait le chantre des « esprits libres qui veulent œuvrer pour la science », et prétend « permettre aux chercheuses, aux chercheurs du monde entier qui croient dans cette science libre, ouverte pour toutes et pour tous, de rejoindre l'Europe et de pouvoir en effet y travailler, y chercher, et enseigner, eux et leur famille en toute liberté ». De l'autre, son gouvernement ne cesse de tailler dans le budget de l'enseignement supérieur de la recherche. Le 25 avril, il supprimait par décret, 400 millions d'euros au budget de la recherche en France, dans le cadre des économies supplémentaires de 5 milliards d'euros voulues par l'exécutif. La loi de finances pour 2025 amputait déjà d'un milliard les ressources du secteur, qui s'élèvent à 31 milliards. Alors que l'Europe vise les 3% du PIB consacré à la recherche, la part de la richesse nationale consacrée à la recherche plafonne à 2,2%.
Précarité accrue
Avec comme conséquence une précarité accrue et des chercheurs qui consacrent une partie de leur énergie à chercher…des financements. « Sous la présidence Macron (2017-2022), le nombre de personnels enseignants titulaires a continué de baisser (-3,1% depuis 2015) tandis que celui des personnels enseignants contractuels explosait dans des proportions inquiétantes (+18,5%) », écrit une large intersyndicale dans un communiqué. 35% des agents du secteur ont un statut précaire de contractuel. « Nous ne sommes évidemment pas opposés à l'accueil de chercheurs américains en France, mais évoquer une enveloppe annuelle de 300 000 euros par chercheur quand le salaire moyen d'un enseignant-chercheur est de 63 000 euros brut a quelque chose de choquant », observe Solveig Langen, administratrice à la Ferc-CGT. Pour Patrick Boumier, cosecrétaire général du SNTRS-CGT, « c'est de l'hypocrisie au plus haut niveau de l'Etat, quand on voit le délabrement des établissements, des salaires trois fois plus faibles qu'en Allemagne. On glisse d'un financement récurrent à un financement par projets, ce qui exacerbe la concurrence entre les labos. La loi de programmation pour la recherche a encore accentué la précarité, notamment avec les CDI de mission. Le retard à combler est colossal ». « La politique du Président Macron depuis 2017 a considérablement affaiblie l'enseignement supérieur de la recherche, non seulement par un sous financement chronique, des regroupements forcés et un pilotage accru, mais aussi par des atteintes quasi incessantes à la liberté académique, contre les sciences humaines et sociales, supposées gangrénées par de supposés chercheurs wokistes ou islamo-gauchistes; des sanctions disciplinaire contre des chercheurs qui ont exprimé leur solidarité au peuple palestinien, l’interdiction de conférences et de séminaires sur la situtation à Gaza à Lille, Lyon, Bordeaux…», dénonce encore l’intersyndicale. Les organisations signataires continuent de demander un budget ambitieux, outre l’accueil de collègues empêchés ou persécutés dans leur pays.