11 décembre 2018 | Mise à jour le 11 décembre 2018
Bousculé par quatre semaines d'un mouvement social qu'il n'a pas vu venir, qui lui a totalement échappé, Emmanuel Macron s'est livré lundi soir 10 décembre à un exercice de communication pour tenter de déminer le conflit des gilets jaunes. Sans convaincre… tant les annonces semblent loin des besoins et des revendications.
Un couplet laborieux sur l'ordre républicain
Un ton compassé, un regard fixe, pas un mot plus haut que l'autre pour ne pas risquer les fausses notes aigrelettes de ses premiers discours de campagne : Emmanuel Macron n'a rien oublié de ses cours de théâtre et de ses séances de coaching pour placer sa voix. Mais non, décidément « Jupiter descendu de l'Olympe » ne restera pas le meilleur de ses rôles et la contrition surjouée de cette allocution du 11 décembre ne parvient pas à effacer ses mauvaises manières de grand bourgeois, le mépris affiché pour ceux « qui ne sont rien », ceux « qui foutent le bordel » et feraient mieux de « traverser la rue » pour se chercher un boulot.
Chassez le naturel, il revient au galop. Au plus fort de la crise sociale, les premiers mots du chef de l'État se font menaçants pour les fauteurs de trouble : « je veux vous le dire d'emblée : ces violences ne bénéficieront d'aucune indulgence. » Puis Emmanuel Macron nous refait du Castaner dans le texte en stigmatisant les séditieux : « Nous avons tous vu le jeu des opportunistes qui ont essayé de profiter des colères sincères pour les dévoyer. Nous avons tous vu les irresponsables politiques dont le seul projet était de bousculer la République, cherchant le désordre et l'anarchie ». Pathétique et déplacé.
Tour de passe-passe sur les salaires
Les autres annonces– Lutte contre l'évasion fiscale : les dirigeants des grandes entreprises françaises devront verser « leurs impôts en France »
– Taxation en France des grandes entreprises qui réalisent des bénéfices en France (allusion à la taxation des Gafa).
– Le Premier ministre présentera ces mesures à l'Assemblée mercredi.
– D'autres annonces pour les entreprises sont prévues dans les jours qui viennent, après une réunion des grandes entreprises.
– La consultation nationale annoncée sera élargie à la représentation politique, au mode de scrutin, prise en compte du vote blanc, au rôle des maires, à la décentralisation, organisation de l'État.
– Il faudra « aborder » la question de l'immigration.
Après cette entame de discours laborieuse et surréaliste, Emmanuel Macron en vient aux annonces. À la colère qui s'exprime sur les salaires et le pouvoir d'achat, il répond notamment: « le salaire d'un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu'il en coute un euro de plus pour l'employeur ». Cette hausse viendra par abondement de l'État en complément de l'augmentation légale du SMIC de 1,8 % qui devait intervenir en janvier prochain. Elle était prévue, mais sur l'ensemble du quinquennat. « Les 100 euros de plus (net) pour le SMIC correspondent à une prime d'activité de 80 euros et une baisse des charges de 20 euros. » (…) « Ce sera fait le plus tôt possible, au plus tard en avril », indique l'AFP de source élyséenne.
La prime d'activité constitue un complément de revenu pour ceux qui sont rémunérés entre 0,5 et 1,2 fois le Smic. Quelque 2,6 millions de personnes en bénéficient actuellement. Cette annonce a été pour le moins fraîchement accueillie par les gilets jaunes qui y ont vu une aumône insuffisante, ou une absence de réponse aux besoins des classes moyennes.
La ministre du Travail, Muriel Pénicaud a beau sortir les rames pour assurer le service après-vente d'Emmanuel Macron, et nous expliquer qu'il s'agit quasiment d'un treizième mois pour un smicard, il ne s'agit pas, en réalité, d'une augmentation du Smic. Tous les salariés payés au Smic n'en bénéficieront pas si les revenus imposables de leurs ménages sont supérieurs au plafond de la prime d'activité.
Par ailleurs, ce tour de passe-passe exonère le patronat de revaloriser les grilles conventionnelles construites avec le Smic comme plancher. Par ailleurs, c'est le budget national qui va financer cette mesure et il faut s'attendre comme le réclame par exemple Christian Jacob (Les Républicains) à ce qu'elle soit financée par des coups de rabot sur les dépenses publiques, donc sur les missions et les emplois du service public.
Des étrennes au bon vouloir du patronat
Emmanuel Macron demande ensuite « à tous les employeurs qui le peuvent » de verser « une prime de fin d'année à leurs employés » non soumise à impôt et cotisations sociales. Le chef de l'État poursuit en annonçant la suppression dès 2019 de la hausse de la CSG subie cette année « pour ceux qui touchent moins de 2000 euros par mois ».
À l'heure actuelle, seuls les retraités gagnant moins de 1 200 euros environ en étaient exemptés. Enfin, le président qui prétendait renverser la table et en finir avec l'Ancien monde exhume une mesure de Nicolas Sarkozy annulée par François Hollande des heures supplémentaires « sans impôt ni charges dès 2019 ».
Pour la CGT, le cap libéral et l'austérité sont maintenus
« Le président tourne le dos aux revendications légitimes des salariés du privé et du public, des privés d'emplois, des jeunes et des retraités », a déploré la CGT qui appelle « à poursuivre les mobilisations et à agir par des grèves dans les entreprises et des manifestations, le 14 décembre, à partir des revendications avec des salariés ». La confédération pointe les grands vides du discours présidentiel, notamment l'absence de revalorisation du point d'indice des fonctionnaires tandis que la réduction des dépenses publiques continue de faire peser des menaces sur les missions et les emplois.
« Rien sur les salaires et la reconnaissance des qualifications et de l'expérience professionnelle » (…) « rien pour la revalorisation des pensions limitée à 0,3 % alors que l'inflation va dépasser les 2 % en 2019 » , note le communiqué de la CGT qui pointe aussi le vide concernant la justice fiscale, l'ISF et le CICE.
« Où est le virage social ? » demandait le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez sur France Info après l'allocution présidentielle. « On épargne encore et toujours plus ceux qui ont beaucoup, énormément d'argent, en refusant de revenir sur la fiscalité et notamment sur l'impôt sur la fortune. Il dit qu'il va s'occuper de l'évasion fiscale, mais on entend ça depuis 18 mois. En contrepartie on continue à supprimer des fonctionnaires du ministère des Finances en charge du contrôle de l'évasion fiscale. Quand il parle des services publics, il se moque de nous. C'est lui qui les casse et il nous fait un couplet sur l'utilité des services publics. »
Peu de chances donc que ce discours pour rien calme la colère des gilets jaunes dont les premières réactions recueillies sur les barrages ou sur les plateaux de télé sont plutôt fraiches, voire carrément hostiles.