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Amer Ibère

25 janvier 2015 | Mise à jour le 3 avril 2017
Par
Amer Ibère

Rafael Chirbes est sans doute l’un des romanciers espagnols les plus importants. L’un des plus sombre aussi qui, de l’Espagne franquiste à l’Espagne ruinée, brosse un tableau sans complaisance d’un pays dévasté dans son nouveau roman Sur le rivage ».

Rafael Chirbes est sans conteste l'un des plus grands romanciers espagnols contemporains. L'un des plus noirs aussi qui ne dédaigne pas de remonter ses manches pour plonger les mains dans la fange qui a marqué son pays, du franquisme à une autre faillite, financière celle-là.

En signant « Sur le rivage », l'auteur de « Crémation », « La belle écriture », « Les vieux amis » et « Tableau de chasse » a choisi de donner à voir le XXIe siècle qui débute sous de sombres auspices, comme empuanti par les relents nauséabonds d'une histoire qui a été mise sous l'éteignoir, mais dont les cadavres n'ont pas fini de se décomposer et de réclamer justice.

Si à Olba, sur la côte aragonaise, un corps peut de temps à autre être retrouvé sur la lagune, c'est plus pour rappeler aux vivants leur propre impermanence et le dérisoire de leur existence que pour servir de base à une enquête policière.

Bétonnée puis abandonnée pour cause de faillite immobilière nationale, la lagune est le lieu où échouent aussi des réfugiés de partout, les misères de tous les coins du monde.

C'est là que survit Esteban, qui veille sans tendresse sur un père grabataire qui l'a contraint a le rejoindre dans la menuiserie familiale et n'a cessé de dénigrer la qualité d'un travail accompli à contrecoeur. Solitaire, méfiant, désabusé, Esteban se regarde vieillir et fait le compte de tout ce qu'il a raté, et, comme lui beaucoup de ceux qui l'entouraient, famille, amis, voisins.

La lucidité de l'écrivain est extrême et ne laisse aucune place à l'espoir, disant sans l'adoucir l'absurdité de l'existence et décryptant d'une plume acérée la vaine agitation humaine dans une société construite sur des sables mouvants : « La radio parle tous les matins de l’éclatement de la bulle immobilière, de l'emballement de la dette publique, de la prime de risque, de la faillite de la Caisse d’épargne, et de la nécessité de réduire les aides de l’Etat et de réformer la législation du travail. C’est la crise… Cinq ou six ans en arrière, tout le monde travaillait. La région entière, un chantier. On aurait dit qu’il n’allait plus rester un centimètre carré de terrain sans béton; actuellement le paysage a des allures de champ de bataille déserté, ou de territoires soumis à une armistice: des terres envahies d’herbe, des orangeraies converties en terrains à bâtir; des vergers à l’abandon, le plus souvent desséchés; des murs renfermant des morceaux de rien. »

Lire Rafael Chirbes est indispensable, mais n'est ni agréable, distrayant ou relaxant, car il tend à un monde grimaçant un miroir sans complaisance où se reflète sa noirceur.


« Sur le rivage » de Rafael Chirbes.

Editions Rivages.

560 p., 24 €.