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Au Carlton, la lutte, c'est pas du luxe

7 décembre 2015 | Mise à jour le 22 février 2017
Par | Photo(s) : Jean Claude Moschetti/REA
Au Carlton, la lutte, c'est pas du luxe

Les salariés du palace cannois sont entrés en grève mercredi 2 décembre. Ils veulent contraindre leur patron, un fonds d’investissement qatari, à négocier un accord garantissant l'emploi et les salaires.

Il paraît que les invités et participants, en smoking et robe de soirée, ont moyennement apprécié. Jeudi 3 décembre, une soirée de l'International luxury travel market (ILTM), « principal événement pour l'industrie business-to-business du voyage de luxe », qui a lieu chaque fin d'année depuis quinze ans du côté de la Croisette, devait se dérouler au Carlton à Cannes. Mais, c'est fâcheux, un peu plus de 120 salariés du palace ont justement choisi ce soir-là pour se réunir à l'entrée, brandissant quelques calicots.

« L'inspection du travail est venue constater que des travailleurs précaires remplaçaient des grévistes, et la soirée a dû être annulée », explique Ange Romiti, représentant CGT du personnel de l'hôtel. Qui ajoute, goguenard : « apparemment, certains clients de l'hôtel étaient terrorisés, ils n'avaient jamais vu de drapeaux… »

FACE AU REFUS DE NÉGOCIATION

La grève a démarré mercredi 2 décembre à l'appel de la CGT et de FO. Elle est une réponse au refus du propriétaire du Carlton, le fonds souverain Katara Hospitality, d'accéder à la demande des salariés qui souhaitent négocier un accord sur la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC).

La négociation de cet accord garantissant l'emploi, les salaires et les acquis sociaux est aujourd'hui la première des revendications salariales ; la seconde est la cessation des pressions sur les salariés. Le Carlton de Cannes emploie environ 280 personnes en CDI et 170 extras et saisonniers.

200 MILLIONS D'EUROS DE TRAVAUX ET UN CHANTIER DE QUATRE ANS

Un important chantier de rénovation et de réfection de l'hôtel est censé démarrer en avril prochain. « Il s'agit de rénover l'existant, environ 360 chambres, les salles de hall et de restauration, d'étendre les ailes sur le côté, et de creuser dans la grande cour intérieure pour y installer une salle de congrès en sous-sol, explique Ange Romiti. On parle d'environ 200 millions d'euros de travaux et d'un chantier de quatre ans. »

Ce sont cette perspective et le flou qui entoure le calendrier et la mise en œuvre du projet qui ont conduit les salariés à exiger un minimum de garanties pour l'avenir. Et, ce, dans le cadre légal d'une procédure prévue par le Code du travail. Exigence à laquelle la direction a répondu par… une lettre adressée au comité d'entreprise.

Dans un communiqué de presse daté du 2 décembre, les élus du personnel se disent « surpris par la décision de la direction de substituer à cette négociation un courrier ». « Il n'a aucune valeur juridique, ajoute le représentant des salariés, donc on leur demande, pour valider leur propos, de reproduire ce courrier dans le cadre d'un accord GPEC. Mais ils refusent. Pourquoi ne veulent-ils pas assumer juridiquement leur promesse ? Pour nous, ça sent le coup fourré… »

DE PROPRIÉTAIRE EN PROPRIÉTAIRE : UNE RENTABILITÉ PLUS ÉLEVÉE

La décennie écoulée a objectivement de quoi nourrir la méfiance des salariés. En huit ans, le Carlton de Cannes a changé quatre fois de propriétaire. Initialement dans les mains du groupe InterContinental Hotels, il passe en 2006 dans le giron de la banque d'affaires américaine Morgan Stanley, qui, en avril 2011, le revend au Libanais Toufiq Aboukhater.

Moins de un an plus tard, en janvier 2012, ce dernier s'en débarrasse au profit du milliardaire qatari Ghanim Bin Saad al-Saad, qui, bien que directeur général du fonds souverain Qatari Diar, l'acquiert à titre privé. En juin 2014, c'est cette fois le fonds souverain d'investissements hôteliers Katara Hospitality, dirigé par un membre de la famille régnante al-Thani (cheik Nawaf bin Jassim bin Jabor al-Thani), qui le récupère.

« Ils se sont présentés comme des bons Samaritains », raconte Ange Romiti. Avec, dans leurs valises, ce grand projet de rénovation du palace, véritable serpent de mer depuis le début des années 2000. Mais, dès leur arrivée, les nouveaux propriétaires « ont demandé une rentabilité plus élevée, ce qui s'est traduit par une baisse des effectifs et a entraîné un recul de la qualité du service, face à laquelle la direction a multiplié les courriers d'observation et de sanction adressés aux salariés. »

Selon Ange Romiti, la direction est aujourd'hui dans une « course à la répression » – avec notamment une tentative de durcissement du règlement intérieur – qui s'accroît au fur et à mesure que s'approche la date à laquelle sont censés débuter les travaux. Mais débuteront-ils seulement ?

Les appels d'offres pour le chantier n'ont pas encore été lancés. Étrange, alors que s'approche la date présumée de son démarrage. Une nouvelle opération de cession du palace est-elle en vue ?

LES SALARIÉS MOBILISÉS AVEC LA CGT

La direction et ses rares représentants sur place (une DRH, notamment) sont, pour l'heure, demeurés silencieux face aux revendications des salariés. Entre 65 et 70 % de ces derniers se sont mis en grève mercredi 2 décembre. Une forte mobilisation qui rappelle que la CGT, également majoritaire au Majestic et au Mariott, a une longue expérience de la lutte dans le secteur de l'hôtellerie de luxe où ses premiers syndicats se sont créés en 1936.

Aujourd'hui, les employés du Carlton et leurs représentants misent sur une forte médiatisation de leur mobilisation. Histoire de porter sur la place publique les méthodes plus que douteuses de leur richissime patron.