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Aux racines sanglantes de l’Amérique

28 octobre 2017 | Mise à jour le 26 octobre 2017
Par | Photo(s) : Basso Cannarsa / Leemage
Aux racines sanglantes de l’Amérique

Colson Whitehead

Dernière de la lignée d'Ajarry, arrachée à un village du Dahomey pour être vendue comme esclave, Cora, après sa mère Mabel, fuit la plantation des frères Randall, en Georgie. À travers elle, Colson Whitehead rappelle l'effroyable violence de la traite négrière et l'espoir de l'Underground Railroad.

Cora n'a que 6 ans lorsque Mabel, sa mère, fuit la plantation des Randall, laissant son enfant derrière elle. Exposée à toutes les violences, la fillette survit néanmoins, livrée au labeur harassant de la cueillette du coton. Cora, comme tous les esclaves, est considérée comme un objet, une propriété qu'on peut vendre, briser, maltraiter, tuer.

Sans en avoir conscience, Cora a pourtant hérité d'un esprit de résistance qu'aucune chaîne, aucune violence, ne parviennent à éteindre totalement. Au plus profond de son humanité niée, Cora demeure malgré tout la personne qu'elle va devenir lorsque, à 16 ans, incitée par Caesar, qui a connu la liberté, elle va entendre parler de l'Underground Railroad et décider de s'enfuir.

Dans l'imaginaire américain, ce réseau clandestin est souvent pris au sens littéral de chemin de fer souterrain alors qu'il fut en fait la métaphore d'un ensemble d'hommes et de femmes, noirs, métis, blancs, solidaires décidés à risquer leur vie pour aider les esclaves à fuir les États du sud des USA vers le Nord abolitionniste. En le matérialisant, l'écrivain donne aussi chair et sang à une réalité terrifiante.

Formidable personnage de fiction, Cora incarne, entre 1820 et 1860 (soit juste avant la Guerre de Sécession) les milliers d'esclaves aspirant à briser leurs chaînes et à conquérir le statut d'homme libre. Fort d'années de documentation et de maturation pour aboutir à ce formidable roman — qui lui a valu le National Book Award et le Pulitzer —, Colson Whitehead décrit, au cours du périple de Cora, la terreur qui pèse sur les esclaves, mais aussi sur les Blancs abolitionnistes qui leur viennent en aide.

Pourchassée d'un État à l'autre par le sanguinaire Ridgeway, chasseur d'esclaves, Cora se méfie de tous et de tout. Ainsi lorsque, sous couvert de progrès humain, on lui propose une intervention pour limiter les naissances, la jeune femme perçoit un danger. Utilisée comme mannequin vivant dans une exposition sur la vie (fantasmée) des esclaves, cachée des mois dans un grenier, Cora assiste aussi impuissante aux pendaisons qui, chaque semaine, ponctuent la vie de la petite ville où elle a trouvé un périlleux et précaire refuge.

On pense bien sûr à Anne Frank, à James Baldwin, au Strange Fruit chanté par Billie Holiday, mais aussi à Harriet Jacobs, ancienne esclave devenue écrivain et militante abolitionniste dont l'auteur s'est inspiré pour créer Cora.

À l'heure où le mouvement Black lives matter résiste au racisme décomplexé de l'Amérique de Trump, Colson Whitehead tend à l'Amérique le miroir de ses pêchés originels jamais expiés : le génocide des peuples autochtones et la traite des esclaves. S'appuyant sur de solides connaissances historiques, qu'il sublime pour faire littérature, l'auteur réussit une magnifique épopée qui emporte le lecteur autant qu'il le fait réfléchir.

Underground RailroadColson Whitehead. Éditions Albin Michel. Prix Pulitzer 2017. 416 pages. 22,90 €