Apprentissage : un pognon de dingue
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«L'ambiance est tendue. Tout le monde est inquiet.» La laine s'enfile, les bobines tournent, les pelotes s'enroulent. Mais depuis le placement en redressement judiciaire de Bergère de France, fin février, dernière filature industrielle de laine à tricoter, à Bar-le-Duc dans la Meuse, les 308 salariés s'inquiètent pour leur emploi. Parmi les mesures d'économies préconisées, ils craignent un PSE.
«C'est l'épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.» Y aura-t-il un plan social ? Quand ? À quelles conditions ? Qui sera concerné ? Ces questions sont dans toutes les têtes au changement de quart, autour des casiers, dans les vestiaires. Il faut dire que le formulaire de situation personnelle distribué à chaque salarié et à retourner rempli à la direction est encore venu confirmer la crainte des licenciements.
«Qui dit redressement judiciaire, dit économies, donc réduction de la masse salariale, donc suppressions d'emplois», lâche, sentencieuse, Claude, ouvrière et déléguée du personnel CGT. «Les deux administrateurs judiciaires devaient nous donner des précisions sur la situation économique de l'entreprise, le 9 avril, mais les salariés veulent surtout savoir s'ils vont garder leur emploi » explique Nelly Floczek, déléguée syndicale CGT. « Hélas, je crains que cela prenne encore du temps». «Et cette attente est pénible», reconnaît, Céline Sossi, secrétaire du CE CGT. «D'autant, qu'on sait que huit boîtes sur dix en redressement judiciaire ne se relèvent pas. Il faut être lucide», ajoute Edwige Bichat, 50 ans dont 31 ans de maison et élue CGT au CE et CHSCT.
L'entreprise familiale, Bergère de France, premier employeur privé du département, est une véritable institution depuis sa création en 1946 par Robert Petit. Elle a connu son heure de gloire pendant les années de l'après-guerre – avec 15 millions de tricoteuses ! – et parmi le personnel à plus de 80% féminin, «beaucoup étaient Bergère de mère en fille».
«Aujourd'hui, les gens ne tricotent plus pour avoir chaud, ils tricotent pour le plaisir, note Nelly Floczek, déléguée syndicale CGT. Nous sommes devenus un loisir créatif. Or, les Français investissent dans les loisirs…» La production est restée stable, autour de 800 tonnes de fil à tricoter par an, mais les ventes baissent. Malgré le prix attractif à 2,29 euros la pelote «Barisienne» 100% acrylique, l'entreprise a enregistré une perte de 1,9 million d'euros pour un chiffre d'affaires de 32 millions d'euros en 2014. «Erreur de stratégie, mauvais ciblage marketing, problèmes d'organisation…» La direction a beau invoquer les conséquences de la crise, pour les élues CGT, elle porte une lourde responsabilité.
En toile de fond, «c'est Dallas à Bar-le-Duc», soupire-t-on, «le père a construit un empire mais les deux fils se détestent. Ils se tirent dans les pattes et nous, on est au milieu». Depuis, une quinzaine d'années, Jean-Louis et Daniel Petit s'affrontent. Le premier – dont les salariés dénoncent le niveau de rémunération – ayant évincé le second de la direction de l'entreprise. Reste qu'ils sont tous deux actionnaires à égalité de Bradfer Investissement, holding qui contrôle la filature et d'autres filiales dont Wega spécialisée dans le haut de gamme et qui aurait bénéficié de «gros apports de fonds avant d'être revendue pour une misère…»
En off, on espère que l'outsider, qui a porté plainte contre son frère pour «banqueroute par emploi de moyens ruineux» devant le tribunal correctionnel de Bar-le-Duc, présentera un projet de reprise. «Une reprise, c'est bien ce qu'il nous faut pour arrêter ce gâchis, clame Edwige Bichat, élue CGT. On est une bonne entreprise, avec un bon outil de travail, du savoir-faire, des gens courageux qui bossent dur et consciencieusement malgré les petits salaires, mais nos dirigeants actuels sont incapables», clame Edwige Bichat. L'affaire est à suivre.
Un premier rapport d'étape devrait avoir lieu le 16 avril prochain.
Émilie Keiffer, 40 ans, ouvrière au département pelote chez Bergère de France. Embauchée il y a quatre ans dans la filature en tant qu'intérimaire, «c'était une aubaine, avec la petite et la maison à payer», résume-t-elle. Originaire de Bar-le-Duc, son bac info-gestion en poche, elle renonce au BTS pour «quitter la maison». Elle aura ensuite plusieurs emplois, dans une «région où il n'y a pas grand-chose». «J'ai été chauffeur de bus pendant huit ans chez Les rapides de la Meuse», mais avec la naissance de sa fille, Julie, en 2003, «les journées étaient devenues trop longues».
Trois ans plus tôt, elle avait participé à une grève de deux semaines pour dénoncer les conditions de travail. «On n'a rien obtenu, mais l'élan de solidarité entre nous m'avait marqué», se souvient-elle. Deux ans après son embauche à Bergère de France, elle s'est syndiquée à la CGT et est devenue déléguée du personnel. «Mon copain qui bosse chez Essilor est syndicaliste CGT, ça m'a donné envie».
Et de résumer: «Ça m'intéresse, on comprend mieux certaines choses ; avec les filles, on en parle tous les jours», explique-t-elle inquiète, tant que ce sera des «Petit» [patronyme de la famille propriétaire, NDLR] à la tête, je n'y crois plus. J'espère pour nous et pour le territoire, qu'on sera repris par d'autres, avec un vrai projet industriel, pour un nouveau départ».
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