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Économie

BNP Paribas : les leçons d’une affaire d’exception

27 juillet 2014 | Mise à jour le 25 avril 2017
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BNP Paribas :  les leçons d’une affaire d’exception

Le 30 juin dernier, BNP Paribas, accusée d'avoir violé l'embargo américain contre le Soudan, l'Iran et Cuba, plaidait coupable devant un tribunal de New York. Résultat, la banque paiera une amende de 8,97 milliards de dollars, soit 6,6 milliards d'euros… Un record.

L'affaire, on ne peut pas vraiment dire que les salariés y étaient préparés. « Nous ne l'avons apprise qu'au mois de mars à l'occasion de la présentation des comptes de l'année 2013 », précise Philippe Sans, délégué national CGT de la BNP. Les syndicats découvrent alors que l'entreprise a passé une provision de 798 millions d'euros pour faire face à de possibles sanctions américaines. En cause, une enquête du Trésor américain qui soupçonne la banque de blanchiment d'argent et de violations des embargos décidés par le gouvernement à l'encontre du Soudan, de l'Iran et de Cuba. Face aux questions qui lui sont posées, la direction banalise le problème et se veut rassurante : « On s'en occupe, on maîtrise », répond-elle en substance. Au fil des semaines, l'affaire prendra pourtant une tout autre dimension. On parle rapidement d'une amende d'un montant record – on envisagera un temps 16 milliards de dollars – et de la possible suspension de la licence bancaire de la BNP aux États-Unis. Bref, de banale, l'affaire tend à devenir exceptionnelle. Et elle l'est, de fait, à plus d'un titre.

L'hégémonie du dollar

D'abord parce qu'elle se solde, au bout du compte, par une sanction sans guère de précédent. BNP Paribas écope en effet de la plus forte amende jamais infligée par un tribunal américain à une institution étrangère et de la plus lourde jamais enregistrée dans une affaire de violation d'embargo. Autre première, BNP Paribas est la seule banque à avoir accepté de plaider coupable pour ce motif. Certes, comme le dit la CGT, « elle n'avait guère le choix » et tout valait mieux pour elle qu'une suspension de sa licence bancaire qui, à Wall Street, aurait signé son arrêt de mort.

Mais exceptionnelle, elle l'est aussi parce qu'elle résulte du statut à proprement parler « d'exception » de la monnaie américaine. Le dollar est en effet tout à la fois une monnaie nationale portant les intérêts de grande puissance des États-Unis et une monnaie internationale de transaction, censée être au service des échanges économiques mondiaux. Cette confusion des genres et cette ambivalence posent en soi un problème. Il n'est pas nouveau mais l'affaire BNP Paribas le met à nouveau en lumière. C'est en effet pour avoir effectué des transactions en dollars – devant donc être obligatoirement compensées aux États-Unis – avec des pays sous embargo américain que la banque était poursuivie. Or, licites en Europe, ces opérations n'auraient pu être contestées si elles avaient été effectuées en euros par exemple. « C'est cette réalité qui nous a conduits à nous exprimer dès le mois de juin sur cette question dans un communiqué signé par la confédération, la fédération des banques et assurances et notre délégation nationale », souligne encore Philippe Sans.

Publié le 5 juin, le communiqué de la CGT, s'il s'abstient, en l'absence de toute transparence, de porter un quelconque jugement sur le contenu et les circonstances des transactions incriminées, rappelle l'enjeu que constituent la réflexion sur une réforme du système monétaire international et la réduction des privilèges exorbitants qui sont ceux de la monnaie américaine. Et de ce point de vue, il est vrai que l'affaire BNP Paribas pourrait bien constituer un accélérateur de la réflexion, notamment en Europe. D'abord parce que la banque française est loin d'être la seule concernée et que d'autres banques européennes, à commencer par la Deutsche Bank, première banque allemande, pourraient être mises en cause pour les mêmes motifs. Ensuite parce qu'au travers de la « décision BNP », les États-Unis semblent en effet annoncer au monde un changement de priorité en matière de gestion du dollar. D'une priorité « à la monnaie de transaction internationale » assurant la sécurité des opérations à tous ceux qui l'utilisent, on passe à la priorité « à la monnaie américaine » au service des intérêts géopolitiques des États-Unis… Un glissement qui reviendrait de facto à consacrer le caractère extraterritorial des lois américaines qui s'appliqueraient désormais à tous, y compris à travers l'utilisation du dollar.

Une éthique en toc

Ce qui ne suffit pas cependant à faire de BNP Paribas une simple victime ou le chevalier blanc de la lutte contre l'hégémonie du dollar. L'instruction, certes à charge, de la justice américaine a montré en effet que la banque, qui a fait de l'éthique son image de marque et un argument commercial, en avait une conception à géométrie très variable. Ainsi, sur son site web, la BNP insiste-t-elle beaucoup, sous la rubrique « Sécurité financière », sur les obligations juridiques « résultant des réglementations françaises, européennes et américaines ». Elle précise notamment « se référer en toutes circonstances à la règle la plus stricte » et « appliquer à chaque fois que cela est nécessaire les programmes de sanctions américains ». Les documents judiciaires produits lors de l'instruction de l'affaire décrivent au contraire des pratiques systématiques de contournement de ces dispositions.

Des pratiques qui ont perduré malgré les avertissements répétés en interne et après que la banque eut diligenté un audit. Ainsi, les transactions mises en cause et leur dissimulation se sont prolongées de 2002 à 2011, alors que la procédure judiciaire avait été engagée dès 2007 et que, dès 2005, un responsable de la conformité mettait en garde le groupe contre une pratique de contournement de l'embargo américain sur les transactions en dollars au profit de banques soudanaises (1). Aujourd'hui encore la BNP, si elle reconnaît des défaillances et des négligences, entend se donner des airs de vertu, expliquant par la voix de son directeur général « la déception qu'un événement de cette nature puisse arriver chez BNP Paribas »… Comme si la banque était un modèle de comportement. Comme si elle était au-dessus de tout soupçon. Alors qu'elle est, par exemple, la banque française qui disposait en 2011 du plus grand nombre de filiales dans les centres financiers offshore, autrement dit les para­dis fiscaux (2)…

Les salariés n'entendent pas payer

Philippe Sans confirme qu'il y a là de quoi choquer les salariés qui savent, pour ce qui les concerne, « combien la banque est prompte à sanctionner le moindre manquement aux règles ». Le malaise est d'autant plus grand que la direction reste discrète sur les sanctions prises en interne : « Nous savons qu'il y a eu des départs mais nous ne savons ni combien ni à quelles conditions »… D'où une extrême vigilance sur les conséquences que pourrait avoir la crise sur la situation du personnel. Dès le 13 juin, les quatre délégués syndicaux nationaux (CGT, SNB, FO, CFDT) reçus à leur demande par le directeur général, Jean-Laurent Bonnafé, soulignaient que les salariés n'entendaient pas en pâtir, notamment en termes de rémunération et d'emploi. Dès le lendemain de la décision américaine, Jean-Laurent Bonnafé adressait une lettre à l'ensemble du personnel pour tenter de le rassurer. « Il n'y aura pas de conséquence, ni sur l'emploi ni sur la politique de rémunération des fonctions, des métiers et des géographies », promet-il. Ajoutant que pour la France, où il existe des dispositions spécifiques d'intéressement et de participation, il avait demandé « d'étudier des dispositions pour reconnaître les efforts faits au titre de l'exercice 2014, malgré les conséquences de la pénalité sur nos comptes ».

Ainsi, à en croire le patron de la banque, la sanction américaine, en dépit de son montant record, n'aura que peu, voire aucune répercussion. Elle ne handicapera ni l'emploi, ni la politique d'embauche, ne remettra aucunement en cause la politique de développement et ne fragilisera pas la banque dont le fameux ratio de solvabilité s'établirait toujours au-dessus de 10 %, soit un niveau à peine inférieur aux 10,65 % actuels. Et ni l'État, ni les salariés, ni les clients, ni les actionnaires ne seront mis à contribution. Ces derniers seront même particulièrement choyés puisque malgré la baisse importante des résultats qu'enregistrera la banque en 2014 – l'amende correspond à environ une année de profits –, ils sont assurés de toucher le même dividende que l'an passé…

Des enseignements utiles

Tous ces éléments attestent, en tout cas, qu'il y a plus d'une leçon utile à tirer de cette affaire. Quoi qu'on pense du bien-fondé de la décision américaine et quelles que soient les raisons diplomatiques contestables ou douteuses qui la justifient – pourquoi maintenir le blocus à l'égard de Cuba ? Comment concilier les exceptions dont bénéficient nombre d'entreprises américaines dans le commerce avec l'Iran et les sanctions applicables aux entreprises non américaines ? –, deux constats au moins s'imposent.

Le premier est que les banques supportent le paiement d'amendes record sans broncher, quand elles s'indignent de la moindre taxation des transactions financières qui handicaperait leur capacité à distribuer des crédits. Qu'elles réclament la mise en œuvre du pacte de responsabilité et des allégements de charge pour prétendument développer l'emploi quand elles peuvent payer rubis sur l'ongle plusieurs milliards d'euros. Qu'elles s'opposent à toute augmentation de salaire qui menacerait leur équilibre quand elles continuent à distribuer des dividendes, même en l'absence de tout profit. Leur indignation est à l'évidence sélective et leurs arguments à géométrie très variable.

Le second constat est que, contrairement à ce qu'on nous affirme, les États ne sont pas tout à fait démunis quand il s'agit de mettre les banques à contribution. C'est en tout cas ce que montrent les États-Unis qui, ces temps-ci, se sont fait une spécialité de sanctionner les banques et pas seulement étrangères. Les banques américaines sont ainsi de plus en plus souvent lourdement condamnées. Citigroup, par exemple, a accepté le 14 juillet de verser 7 milliards de dollars afin de mettre fin aux poursuites engagées par les autorités américaines qui l'accusaient d'avoir trompé les investisseurs en leur vendant des titres toxiques. JPMorgan a réglé en novembre dernier la bagatelle de 13 milliards de dollars pour son rôle dans les « subprimes ». Un record absolu qui pourrait bien être battu par Bank of America à qui la justice réclamerait, si l'on en croit la presse américaine, 17 milliards de dollars… L'exemple montre, en tout cas que, s'il le veut, l'État peut mettre les banques au pas.

D'où bien des interrogations sur l'attitude d'un gouvernement qui, porté au pouvoir en faisant de la finance son ennemie, vient, par la voix de son ministre des Finances, de la déclarer son amie pourvu qu'elle soit bonne… BNP fait-elle de la bonne finance ? Elle vante certes dans ses publicités son rôle auprès des grands groupes industriels comme des PME. Mais c'est pour ses opérations de marché, qui représentent l'essentiel de son activité, qu'elle est avant tout réputée.

BNP Paribas, source de risque systémique

D'ailleurs, selon Gaël Giraud, chercheur au CNRS et à l'École d'économie de Paris, « sur 8 000 milliards de total de bilan bancaire français, seuls 10 % servent au financement des entreprises et 12 % au financement des ménages » (3). Le reste, ce sont des opérations de marché, par nature risquées et pas franchement nécessaires au fonctionnement de l'économie réelle. Ce qui repose la question du rôle des banques et notamment de celui de BNP Paribas, première banque européenne, dont le total de bilan est comparable au PIB français (environ 2 000 milliards d'euros) quand la plus grosse banque américaine ne représente que 20 % du PIB des États-Unis. « Ce qui fait de BNP Paribas, souligne Gaël Giraud, la première source de risque systémique en France. » Et qui mérite qu'on s'en occupe…
C'est bien là une des conséquences qu'entend tirer la CGT de l'affaire BNP. Avec deux rendez-vous déjà au programme. Les négociations salariales le 24 septembre où elle entend bien gagner des augmentations pérennes après le 0 % de l'an passé, et les élections au conseil d'administration qui se dérouleront du 19 au 25 novembre prochain. Les enjeux que soulève l'affaire, la nécessité de faire toute la clarté sur les activités de la banque exige, selon la CGT, « une action des représentants des salariés au CA d'un tout autre niveau ». C'est sur ce thème qu'elle entend faire campagne pour regagner un siège perdu quand la banque a décidé de réduire de trois à deux le nombre des administrateurs salariés…

(1) Les transactions avec le Soudan représentent l'essentiel des 190 milliards
de dollars de transactions incriminées
par la justice américaine.
(2) « L'imposition des entreprises du secteur financier est-elle ajustée à leur capacité contributive ? », Gunther Capelle-Blancard et Jézabel Couppey-Soubeyran. Rapport particulier n° 3 du Conseil des prélèvements obligatoires, juillet 2012.
(3) Gaël Giraud, « Note de synthèse sur le projet de loi présenté par M. le ministre Pierre Moscovici au Conseil des ministres, le 19 décembre 2012 ».