35 heures : un bilan
Pour ses 15 ans, la loi sur les 35 heures n’est pas à la fête. Faute de meilleure idée ou par manque de résultats, le Medef l’accuse d’être à l’origine du manque de... Lire la suite
Les 35 heures figuraient déjà dans les « 110 propositions pour la France » du candidat François Mitterrand en 1981. Lorsqu'il fut élu président de la République, il s'est contenté de réduire de 40 à 39 heures la durée hebdomadaire du travail. Il a donc fallu attendre encore près de vingt ans pour que la loi sur les 35 heures soit enfin votée. Tout a commencé par un sommet social organisé le 10 octobre 1997 par le Premier ministre Lionel Jospin.
Le président du CNPF (devenu Medef), Jean Gandois, est sorti de cette rencontre rouge de colère, déclarant sur le perron de l'hôtel Matignon : « Nous avons été bernés toute la journée ! » Il venait d'apprendre que le gouvernement avait décidé de faire voter une loi-cadre réduisant la durée hebdomadaire du travail à 35 heures pour toutes les entreprises, et avec une date butoir.
Jean Gandois démissionnera de ses fonctions du CNPF quelques jours plus tard, estimant que l'organisation patronale avait dorénavant besoin d'un « patron de combat » pour mener la bataille contre les 35 heures. Ernest-Antoine Seillière lui succédera et le CNPF se transformera en Medef l'année suivante. La réforme des 35 heures est, elle, conduite par la ministre de l'Emploi de l'époque, Martine Aubry.
Ce projet gouvernemental s'est concrétisé en deux temps, à travers le vote de deux lois successives. La première a fixé un objectif et un processus de négociation ; la seconde, les modalités concrètes d'application de la réduction de la durée du travail. La loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail, dite « loi Aubry 1 », votée le 13 juin 1998, a fixé à 35 heures la durée légale hebdomadaire du travail au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés.
Et initié un processus de négociations dans les entreprises et les branches d'activité, dont les résultats sont censés inspirer la rédaction de la seconde loi, qui est votée le 19 janvier 2000. Baptisée « loi Aubry 2 », elle est relative à la réduction négociée du temps de travail, qui a fixé le cadre de la semaine des 35 heures obligatoire dans toutes les entreprises au 1er janvier 2002.
Cette mise en œuvre des 35 heures a vu se confronter en permanence deux logiques, selon que la réduction du temps de travail a fait l'objet d'une compensation financière ou non. La réduction du temps de travail sans perte de salaire relevant d'une logique de progrès social. La réduction du temps de travail avec perte de salaire relevant d'une logique de partage du travail (d'autres diront du chômage), correspondant au travail à temps partiel imposé.
La loi n'a pas tranché cette question de la compensation salariale, renvoyant le sujet à la négociation.
Au bout du compte, il s'est avéré que l'application de la réduction du temps de travail dans les entreprises n'a entraîné que très rarement une diminution des salaires (35 heures payées 35). Mais en revanche, la compensation de la rémunération a souvent été accompagnée d'un gel ou d'une moindre augmentation des salaires pendant une période d'un à trois ans.
Concernant les salariés payés au Smic, dont la revalorisation relève de la responsabilité du gouvernement, la ministre du Travail et de l'Emploi s'était engagée à assurer une compensation intégrale de leur rémunération, en refusant toutefois d'augmenter le taux horaire de 11,4 % correspondant à l'effet mécanique du passage de 39 à 35 heures.
Dès lors, une véritable usine à gaz a été mise en place, avec la création de cinq Smic différents (ou garantie mensuelle de rémunération) entre 1997 et 2002. Et ce, dans le but d'amoindrir le montant des revalorisations auxquelles auraient pu légalement prétendre les « smicards ». La réunification des Smic ne sera réalisée qu'en 2005.
Au-delà de la question salariale, celle de la flexibilité, impactant directement les conditions de vie et de travail, a également fait l'objet d'âpres discussions dans les négociations. Nombre d'employeurs ont profité de l'occasion pour conjuguer la réduction du temps de travail avec des systèmes de modulation d'horaires consistant à faire varier la durée hebdomadaire du travail sur tout ou partie de l'année pour coller aux fluctuations de la production.
Double avantage pour le patron : le système organise la chasse aux temps morts et fait disparaître les heures supplémentaires en période de haute activité. Triple inconvénient pour le salarié : intensification du travail ; perte de la maîtrise du temps ; non-paiement des heures supplémentaires.
Certaines entreprises, plutôt des grandes dans le secteur industriel, ont encore réorganisé le travail pour allonger la durée d'utilisation de leurs équipements, avec l'extension du travail de nuit et le samedi. Au total, de nombreux salariés ont vu leurs conditions de travail se détériorer au gré des accords d'aménagement et de réduction du temps de travail (ARTT).
Enfin, la question de l'emploi lié à la réduction du temps de travail a toujours été au centre des débats. La loi Aubry 1 a bien conditionné l'octroi d'une aide publique incitative à la RTT à une obligation d'embauche (augmentation de 6 % des effectifs pour une RTT de 10 % et de 9 % pour une RTT de 15 %). Mais la loi Aubry 2 a remplacé le dispositif incitatif par une aide pérenne fusionnant avec l'allègement des cotisations sociales sur les bas et moyens salaires.
Surtout, l'obligation d'embauche a disparu, la question étant là encore renvoyée à la négociation. Sans surprise, les accords conclus sous l'égide de la loi Aubry 2 ont permis de créer moins d'emplois que ceux régis par la loi Aubry 1. Du reste, le bilan de l'application des 35 heures continue de faire l'objet de nombreuses polémiques.
Sur le plan social, les enquêtes d'opinion montrent que les salariés bénéficiant de la réduction du temps de travail sont plutôt satisfaits, même si les résultats sont plus mitigés concernant leurs conditions de travail. Un sondage BVA publié en décembre 2016, quelques mois avant la présidentielle, indiquait que 65 % des salariés étaient opposés à la suppression des 35 heures.
Sur le plan économique, la catastrophe annoncée par le patronat n'a pas eu lieu puisque le taux de marge des entreprises n'a pas faibli. Les gains de productivité engendrés par la réorganisation du travail et les aides publiques ayant permis de maintenir la compétitivité des entreprises.
Quant à l'emploi, jamais notre pays n'en a créé autant qu'au cours de cette période : deux millions entre 1997 et 2002. Parmi ceux-ci, on estime généralement que la part dévolue à l'application des 35 heures est au minimum de 350 000. Un chiffre confirmé par des études de l'Insee, la Dares, l'Igas, la Banque de France, l'OFCE, etc.
Vingt ans plus tard, les 35 heures sont toujours là malgré les nombreux coups de boutoir infligés par les gouvernements successifs, qui les ont sérieusement affaiblies. Jusqu'à récemment encore à travers la loi Travail de El Khomri ou bien encore les ordonnances de Mme Pénicaud. Si tous les salariés ne travaillent pas 35 heures, tant s'en faut, le dispositif légal constitue une digue contre les durées du travail à rallonge, et un point de repère pour revendiquer le paiement des heures supplémentaires.
Même les salariés soumis au régime des forfaits disposent d'outils pour encadrer la durée du travail. « On a répandu des idées selon lesquelles la France pourrait aller mieux en travaillant moins, c'étaient des idées fausses », a plaidé Emmanuel Macron, en 2015, à l'université du Medef. Il est pourtant juste qu'une partie des gains de productivité engrangés par le travail des salariés leur reviennent pour financer une réduction du temps de travail sur la semaine, l'année ou la vie entière.
La question était d'actualité hier avec les 35 heures, elle l'est aujourd'hui avec les retraites, et le sera demain avec les 32 heures revendiquées par la CGT. Parce que c'est le sens de l'histoire…