Bruxelles prépare le meilleur des mondes
Avec la directive Secret des affaires, bienvenue dans le meilleur des mondes ! Avec 503 voix pour et 131 voix contre, les députés européens (PPE, PSE et FN) ont osé, en plein scandale des « Panama Papers » (voir ci-contre), voter la directive Secret des affaires. Un pas supplémentaire dans le totalitarisme financier et politique vient d'être franchi.
Sous couvert de protection économique, plus aucun citoyen ne sera en mesure d'utiliser, de diffuser ou de publier une information sans risquer des poursuites judiciaires. Dénoncer les pratiques illégales et immorales des grandes entreprises, s'opposer à des manœuvres frauduleuses au sein de son entreprise en les faisant connaître à la presse, faire son métier de journaliste… sera passible de poursuite. Avec une telle directive : plus de « LuxLeaks », plus de « Panama Papers »… Le règne opaque des multinationales.
Pour bien saisir l'ampleur du problème, un bref retour en arrière sur la genèse du secret des affaires.
Pour prospérer et se protéger de la concurrence, les entreprises ont besoin de confidentialité. C'est le cas pour les secrets de fabrication, les plans de prototype, des listings de clients…
Et, si chaque État a sa propre législation pour réprimer le vol de secrets d'affaire, il n'en existait pas à l'échelle européenne. La Commission européenne a donc mis en place une réflexion sur ce sujet. L'occasion était trop belle, pour les lobbyistes d'une dizaine de multinationales (dont Michelin, General Electric, Intel, Nestlé, Safran, Alstom, Dupont…) de faire taire tout ce qui pourrait déranger leurs affaires, légales ou non. Résultat ?
Au lieu d'avoir une législation contre la concurrence déloyale, on aboutit à un texte qui organise l'opacité et donne les pleins pouvoirs aux multinationales contre les citoyens. Le message envoyé par la Commission européenne et télécommandé par les multinationales est clair : un black-out total concernant toutes informations – voire les exactions – des entreprises.
Et, se faisant, elle organise sciemment la primauté des droits économiques sur les droits politiques et condamne les citoyens au silence. C'est une logique globale qui se met en place, le Tafta d'un côté (Notre dossier sur le TAFTA, dans le numéro de la NVO de mars 2016) la directive européenne de l'autre.
Bien entendu, il est hors de question d'en rester là pour les 54 associations et syndicats européens qui ont dénoncé cette directive dès le début.
Sophie Binet de l'UGICT-CGT, partie prenante de cette coalition, enrage contre ce vote. « La directive va permettre aux entreprises de poursuivre les syndicalistes, les lanceurs d'alertes ou les salariés utilisant leurs informations acquises sur leur lieu de travail, qui révéleraient un secret d'affaire. Les journalistes qui les rendront publics aussi, c'est extrêmement grave pour la démocratie ce qui vient de se passer à Bruxelles. ».
Le 26 avril, le procès d'Antoine Deltour et Edouard Perrin, lanceurs d'alerte à l'origine de la révélation d'une grande partie des documents des « LuxLeaks » aura lieu au Luxembourg, paradis fiscal où la législation nationale n'a pas attendu la Commission européenne pour mettre en place le secret des affaires. L'exception luxembourgeoise va-t-elle devenir la norme européenne ?
« Une chose est sûre, on va continuer à se battre et demander la suppression de cette directive. Ce que le parlement européen a fait, le parlement européen peut le défaire. Ce vote fait un tollé sur les réseaux sociaux. Les eurodéputés se sont décrédibilisés. Ils sont censés défendre l'intérêt général et les libertés des citoyens, pas une dizaine de multinationales », tempête encore la secrétaire générale adjointe de l'UGICT-CGT.
Les contre-pouvoirs que sont les syndicats, les associations de citoyens ne compte pas en rester là. Prochain rendez-vous pour faire réagir l'opinion, le procès des lanceurs d'alerte des « Luxleaks », le 26 avril. L'occasion de mettre au grand jour, l'opacité – devenue légale – des pratiques de certaines entreprises…