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Coronavirus

Chroniques du coronavirus : la colère gronde dans la grande distribution

21 avril 2020 | Mise à jour le 6 mai 2020
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Chroniques du coronavirus : la colère gronde dans la grande distribution

16 mars 2020. File d'attente devant l'hypermarché Leclerc de Valence.

Le 6 avril dernier, sur fond de crise sanitaire, la Fédération CGT du commerce et des services lançait un appel à la grève. Après plusieurs décès, et alors que le secteur réalise des profits importants, la colère gronde et il suffirait d'un nouveau drame pour amorcer un mouvement, assure la secrétaire fédérale du Commerce et des Services, Sylvie Vachoux.

Le 6 avril dernier, après le décès d'un deuxième employé de Carrefour des suites du Covid-19, la CGT lançait, en direction des salariés du commerce et des services, un appel à la grève…

« Suite à l'impossibilité, pour les employés, d'exercer leur droit de retrait, nous avons décidé de taper du poing sur la table, même si nous savons qu'il s'agit d'un secteur où les faibles salaires et la maigre reconnaissance sociale entravent souvent les mouvements ou les volontés de grève », explique Sylvie Vachoux, secrétaire fédérale du Commerce et des Services. De fait, le mouvement est peu suivi, mais pour autant, ajoute-t-elle, en ce moment, « ça bouillonne », et un nouvel événement dramatique pourrait « mettre le feu aux poudres ».

Elle-même, salariée de la grande distribution depuis trente-cinq ans, observe parmi les caissier·e·s et autres employé·e·s, lors de ses visites dans les supermarchés, une inquiétude grandissante. « Des élus, des salariés m'ont tous confié aller travailler la peur au ventre, éclaire-t-elle. Au début du confinement, ils se sont sentis trahis, abandonnés par leurs directions, plus avides de profits que soucieuses de leur santé et de celle de leurs proches… De quoi développer un énorme sentiment d'insécurité, encore renforcé par l'incivisme de certains clients ! 

Sacrifier les salariés dans la course à la rentabilité

Pour comprendre l'état de nerf et de stress de ces salariés, il faut revenir aux deux premières semaines de confinement, et à la gestion désastreuse du travail en temps de crise dans les magasins de la grande distribution. Pour exemple, Sylvie Vachoux cite ainsi, parmi d'autres aberrations, ce magasin Lidl qui a osé demander à ses employés de « nettoyer le magasin avec des lingettes », suite à la suspicion d'un cas de coronavirus parmi les employés, avant de leur refuser un « droit de retrait » le lendemain.

Ou ce Casino de Marseille qui n'a pas jugé utile de fermer boutique, alors que le boulanger présentait tous les symptômes du Covid-19. Ou encore ces hypermarchés de la banlieue parisienne, pris d'assaut par les clients les premiers jours du confinement, sans filtrage ni règles de protection pour les salariés…

De manière générale, durant les quinze premiers jours, les mesures sanitaires de base — port du masque, lavages des mains avec gel hydroalcoolique, mise en place de plexi-caisses — n'étaient pas appliquées. En première ligne des dangers ? Les agents de sécurité, employés par des entreprises sous-traitantes, dépourvus de masques, en contact étroit avec les clients… De quoi entraîner l'irrémédiable…

Ils s'appellent Alain ou Aïcha, étaient employés par la grande distribution, et sont morts du Covid-19. « Dans leur course macabre à la rentabilité, les directions n'hésitent pas à sacrifier leurs salariés, voire les clients », se révolte Sylvie.

Aujourd'hui, la secrétaire fédérale estime ce sinistre bilan à une dizaine de morts qui aurait peut-être pu être évitée. Mais la réalité dépasse probablement ces chiffres. À vrai dire, il reste compliqué d'avoir une idée précise du nombre de personnes atteintes : « En ce moment, les commerces de grande distribution subissent, tout confondu — maladies, gardes d'enfant, etc. — un absentéisme de 30 à 40 %, contre 8 à 10 % habituellement. Mais nous n'en connaissons pas les raisons précises, dit-elle. Les directions font de la rétention d'informations. Et nous n'avons pas de vision claire dans les magasins où nous n'avons pas d'élus… »

« La prime de la mort »

Aujourd'hui, selon les préconisations de l'ARS (Agence régionale de santé), les gestes sanitaires de base sont respectés dans les supermarchés. Mais la CGT requiert la mise en place d'autres mesures : la fermeture des rayons non essentiels (« A-t-on besoin de s'acheter un téléviseur ou un salon de jardin en temps de confinement ? », s'interroge Sylvie Vachoux) pour réduire la fréquentation ; la clôture de certains magasins le dimanche, pourvus de caisses automatiques ; et à Paris, la baisse des rideaux à 19h30 maximum pour que les employés puissent rentrer chez eux, en transports en commun (fermés à 21 h 30).

Enfin, la prime de 1000 euros allouée aux salariés de la grande distribution pourrait bien attiser la colère, car trop soumise à restrictions : seuls ceux qui auront travaillé plus de 28 heures hebdomadaires, sans interruption de mars à mai, ou juin, ceux en contact avec le public, et ceux directement employés par l'enseigne, la recevront.

Exit, donc, les intérimaires n'ayant pas travaillé dans cette période, ceux qui gardent leurs enfants, ou ceux qui ont été en « quatorzaine ». « C'est contre-productif et dangereux, regrette la secrétaire fédérale. Certains malades vont même travailler pour pouvoir toucher cette prime : une somme non négligeable pour leurs salaires aussi bas.»

À l'heure où la grande distribution enregistre de juteux profits — avec une consommation alimentaire en très forte hausse, par exemple, selon un rapport de Progexa — cette prime devrait être versée sans condition.
«Il serait bon, aussi, que les actionnaires ne touchent plus aucun dividende », ajoute Sylvie Vachoux.

Aujourd'hui, les salariés savent que la grève peut provoquer des difficultés d'alimentation pour nombre de familles. « Un sens du devoir anime ces professionnels », assure la secrétaire fédérale. Ce qui n'empêche pas qu'ils aimeraient davantage de sécurité et de reconnaissance… Assurément, la colère gronde.

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