Comment les salariés et les militants syndicaux s’adaptent à cette réalité ? Ceux qui travaillent de chez eux, ceux qui sont tenus de se présenter à leur poste… Chaque jour, la NVO vous raconte le quotidien des travailleurs à l’heure du Covid-19. Aujourd’hui : les travailleurs sociaux, ces autres héros
En pleine crise du Coronavirus, les travailleurs sociaux sont eux aussi en première ligne. Rencontre avec deux jeunes éducateurs spécialisés qui prennent en charge des jeunes en difficulté. Organisation du travail, confinement des jeunes et… absence de protocole.
20 h 20, mardi 18 mars, les éducateurs spécialisés d'une vénérable fondation(les prénoms ont été , « qui se mobilise pour venir en aide aux jeunes fragilisés », viennent de recevoir par mail leur planning pour la durée du confinement. Auguste C. et Marion V., la petite trentaine, travaillent à la Maison d'enfants à caractère social (MECS) du site parisien de l'institution et reviennent de la réunion d'information convoquée la veille par leurs chefs de services.
Verdict : « Je pense que la direction est un peu dans le flou et qu'ils n'ont pas trop anticipé. En fait, ils attendaient d'être sûrs qu'il y aurait confinement pour réagir alors qu'en fait il aurait fallu anticiper. » note Auguste C. Marion V., qui est en charge du pôle santé de la MECS, est presque en colère : « à part l'organisation du travail, les chefs n'avaient rien prévu et n'avaient réponse à rien : comment faire les transmissions [les équipes vont désormais se croiser] ? Les jeunes vont-ils pouvoir sortir de l'établissement ? [Finalement c'est non], Comment ça se passe dans la cuisine ? On y est à combien ? Quels sont les protocoles [en cas de contamination et pour les éviter] ? Etc. D'accord : l'avantage c'est que nous avons pu échanger. Mais ils s'appuient seulement sur notre implication personnelle. » Un comble pour une institution réputée pour ses importants moyens humains et financiers.
Certains jeunes passeront la période de confinement en famille
Les jeunes mineurs pris en charge à la MECS sont âgés de 12 ans à 18 ans selon les groupes et ont intégré la fondation suite à une décision judiciaire de placement à l'aide sociale à l'enfance (ASE). Selon le jugement ils peuvent ou non aller dans leurs familles le week-end, voire un soir au deux en semaine, et durant les vacances scolaires. En raison de la lutte engagée contre la propagation du Coronavirus, la MECS a dû s'organiser en pleine période scolaire.
Elle a opté pour un fonctionnement sur le modèle des vacances. Ceux qui voient régulièrement leurs familles sont ainsi rentrés au domicile pour la durée du confinement. « Ce n'est pas l'idéal, estime Marion V., même s'il leur suffit de passer un coup de fil si ça tourne vinaigre et qu'ils veulent rentrer à la MECS » « L'ASE a forcément donné son accord, tempère Auguste C. Son positionnement c'est probablement : il y a une pandémie et laisser des jeunes en collectivité avec des professionnels qui vont faire des allers-retours c'est moins sûr du point de vue sanitaire que de confiner les jeunes avec leurs parents qui seront les seuls à sortir ».
« Et on peut se dire que les tensions du quotidien entre les parents et les enfants ne devraient pas se produire, reconnaît Claire V. Là ce sera en mode détente, on peut dormir, jouer à la Play… » En résumé, la MECS a cherché l'équilibre entre deux obligations : le confinement et son activité d'accueil et d'encadrement de jeunes mineurs … à effectifs constants, est-on tenté d'ajouter.
Organisation du travail allégée et mutualisation des équipes pour limiter la propagation du virus
« Et moi j'ai un laisser-passer ! » plaisante Auguste C. Il brandit l'attestation que lui a remis son employeur :« en tant que personnel mobilisé pour assurer la continuité de la prise en charge des mineurs » il « doit pouvoir se rendre sur son lieu de travail » où les jeunes qui n'ont pas de famille pouvant les accueillir sont confinés. Si seulement quatre sur les douze que compte son groupe sont concernés, par définition les mineurs non accompagnés (MNA) de la ville de Paris le sont aussi. « Les budgets ne sont pas les mêmes mais du coup tout le monde fonctionne ensemble et peu importe où tu es éducateur » explique Auguste C.
Avec un roulement qui s'organise sur un rythme de trois soirées, deux matinées ou deux journées en alternance avec deux voire trois jours de repos, les deux éducateurs s'accordent pour reconnaître que « la nouvelle organisation est plutôt pas mal en termes de conditions de travail ». « On s'est mis à trois sur un même roulement et une même équipe parce qu'on habite à proximité les uns des autres. On fait donc un co-voiturage, poursuit Auguste C. qui s'en amuse : « En fait, vu qu'on va travailler ensemble c'est un peu comme si on était confinés ensemble !»
Plus sérieusement, il explique qu'« être moins d'adultes potentiellement contaminés, circulant entre chez eux et le travail, limite donc les risques de propagation [du virus au sein de l'établissement] ». Mais encore faudrait-il que la chaîne de prévention soit ininterrompue.
Des protocoles défaillants et des éducateurs qui s'estiment peu préparés en cas de contamination
Des gants et des masques sont bien mis à la disposition des professionnels qui le souhaitent mais « les masques devraient être imposés à tous les professionnels qui viennent de l'extérieur sur la MECS » insiste Marion V. De plus, sensibilisée à la question, elle estime que les éducateurs ne sont « pas prêts » au cas où un jeune tomberait malade et serait mis en quarantaine. Car, si cela arrivait, aucun protocole fiable n'a été arrêté : les éducateurs volontaires se relaieront à son chevet « mais retourneront travailler au contact des autres ensuite » s'effraie l'éducatrice.
Non seulement, c'est au risque de propager le virus mais ils sont peu à savoir correctement s'équiper – mettre une blouse, utiliser correctement les gants… – pour se protéger. « Il y a de vrais risques et j'aurais souhaité être un peu plus prête pour bien faire face si nécessaire », précise-t-elle. Un point de vue que partage son collègue : « Là c'est un collectif et si une contamination commence ça peut rapidement dégénérer. En plus on a un jeune qui a la drépanocytose [maladie du sang] et on n'a pas eu de consignes le concernant. »
Des inquiétudes qui semblent amplement justifiées. Avec notamment une cour d'école, un gymnase, un parc et un terrain de foot, le site parisien est, certes, très spacieux et les jeunes ont largement de quoi s'aérer, faire du sport et des activités… « 10 par 10 dans le gymnase ». Sauf que ces jeunes sont décrits comme n'étant pas très au fait de la situation sanitaire critique liée au Coronavirus.
À grand renfort d'explications, les affichages sur les « gestes barrières » viennent tout juste d'être apposés dans les chambres des jeunes et le savon liquide de leur être distribué, les masques ont fait leur apparition et les éducateurs ne leur serrent plus la main. Autant de signes que de nouvelles habitudes vont devoir s'imposer. Reste que si les jeunes occupent une place sur deux à la table du repas, le service des plats ne répond à aucun protocole.
D'une manière générale, entre les manettes de PlayStation et autres chahuts, c'est la consigne de rester à un mètre les uns des autres au quotidien qui « ne tient pas la route dans un huis clos comme la MECS » estime Marion V. « Il faut toujours partir de la réalité du terrain pour proposer des solutions », rappelle-t-elle. Ce que l'institution semble justement avoir perdu de vue dans la précipitation.
Optimiste, Auguste C. pense que « ça va se rôder ». Et, nouvelle équipe de travail oblige, il a ouvert un nouveau groupe Whatsapp avec ses collègues. Ils l'ont ironiquement nommé « les héros oubliés de la Nation ». De fait, dans la période, qui parle des éducateurs et autres travailleurs sociaux en charge des populations les plus fragiles ?