Conquérir le droit à changer d’air
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L'école est finie, dans quelques semaines ! Deux et deux font désormais autant qu'ils veulent ; Pythagore se moque de l'hypoténuse ; chou, bijou prennent un « s » au pluriel si ça leur chante ; la soldatesque va s'éteindre à Marignan en 2100. Quelle importance, ce sont les vacances ! Et, avec elles, le temps des grasses matinées, des journées ensoleillées qui s'étirent à l'infini, des châteaux de sable, des fous rires avec les grands-parents, des jolies colonies, « you kaïdi aïdi aïda » ! Un temps pour l'évasion, la liberté, mais également un temps d'enfermement et d'exclusion pour les enfants qui restent assignés à résidence. Selon une étude publiée par l'Insee en mars 2023, « un enfant sur dix âgé de 1 à 15 ans ne partait pas en vacances en 2021 pour des raisons financières. Les privations sont toutefois moindres depuis une dizaine d'années. En 2009, 17,4 % des enfants de moins de 15 ans ne pouvaient pas partir au moins une semaine par an en vacances, contre 11,8 % en 2014 et 10 % en 2021 ». « Le droit aux vacances est un droit essentiel qui permet de grandir, de s'ouvrir aux autres, d'oublier un peu les tracas du quotidien », défend Catherine Luffroy, membre du bureau national du Secours populaire qui, tous les ans, permet à des enfants et à des familles en difficultés matérielles de se dépayser.
« En France, les vacances représentent une norme sociale qui pèse fortement. Les projets de départ pour l'été constituent facilement un sujet de conversation au travail, chose inimaginable en Allemagne. Des études montrent que les vacanciers ont 1,6 fois plus de chance de se sentir heureux. Dans ce contexte, le fait de ne pas partir, de n'avoir pas grand-chose à raconter à la rentrée est un marqueur fort d'inégalité et suscite un sentiment d'exclusion », pointe Jörg Müller, politiste au Crédoc. Lequel observe par ailleurs un taux de départ identique à celui d'avant la crise sanitaire. « Alors que l'inflation persiste, les classes modestes semblent s'imposer des restrictions sur des biens de nécessité, sur l'alimentation notamment, pour partir quand même un peu en vacances, ou au moins permettre à leurs enfants de changer d'air sans eux », poursuit Jörg Müller, pour qui les aides accordées par les comités d'entreprise (chèques vacances, etc.), la Caisse d'allocations familiales ou les collectivités constituent un véritable coup de pouce. Si l'âge d'or des colos se situe entre 1945 et 1965, les séjours collectifs continuent d'avoir bonne presse, en dépit d'une lente désaffection. Selon l'Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes (OVLEJ), plus de 1,25 million d'enfants mineurs sont partis lors d'un séjour collectif en 2021-2022, contre plus de 1,43 million en 2018-2019, avant la pandémie. Une parenthèse qui, loin des parents, se révèle souvent bénéfique.
« Les séjours collectifs permettent à l'enfant de gagner en autonomie, de s'ouvrir aux autres, d'élargir le champ des possibles en explorant des activités inconnues et en faisant des rencontres. Plus globalement, les enfants qui ont connu les colos font des adultes plus impliqués dans la vie de la cité », constate Anne Carayon, directrice générale de l'association Jeunesse au plein air (JPA), qui regroupe près d'une quarantaine d'associations attachées à la solidarité, la laïcité et la citoyenneté.
À travers une étude sur la socialisation juvénile en colo réalisée pour le compte de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep), la sociologue Pauline Clech écrit que « la colonie de vacances est une institution enveloppante qui vise à la fois à créer un collectif et à agir sur chaque jeune individuellement. Ses effets socialisateurs sont doubles. La colo renforce certaines dispositions acquises hors de cet espace liées aux rapports de classe et de genre. Dans le même temps, la colonie de vacances est l'occasion d'une transformation de soi inédite, en ce qu'elle permet de grandir et d'élargir son univers culturel de référence ». Dans un rapport plus détaillé, la sociologue note que « cette institution des vacances tend à devoir pallier la ségrégation caractéristique des autres domaines de la vie sociale des jeunes pour faire respirer notre société et la préserver de l'implosion ». Reste à voir si ces séjours collectifs demeurent vraiment un espace de mixité sociale. Le constat est assez nuancé. « Le marché des séjours collectifs est aujourd'hui très varié. Qu'y a-t-il de commun entre un prestataire privé qui propose un tour d'Europe des parcs d'attractions [facturé plus de 2 500 euros les deux semaines, ndlr] et une collectivité territoriale qui s'efforce de maintenir des séjours ouverts à tous », interroge Julien Fuchs, professeur des universités à Brest et auteur de Le Temps des jolies colonies de vacances. Lequel note une « partition entre les colonies pour enfants de riches et celles pour les enfants des classes populaires ».
C'est notamment pour maintenir une relative mixité sociale que la mairie communiste de Montreuil (Seine-Saint-Denis) lutte pour conserver son centre historique de vacances à Allevard, entre Grenoble et Chambéry. Avec les difficultés de consacrer un budget important à son entretien, ce qui a conduit la municipalité à vendre trois autres de ses centres. « Allevard, c'est un peu notre madeleine de Proust. Des générations de montreuillois y sont parties en colonies. Il suffit de lire les commentaires sur les réseaux sociaux chaque fois que la mairie poste une information sur son centre pour se rendre compte qu'il fait partie de la mémoire collective », s'amuse Dominique Attia, adjointe déléguée à l'éducation, à l'enfance et aux bâtiments. C'est ainsi que quelque 600 enfants y séjournent chaque année. « Nous faisons en sorte de brasser les publics, en favorisant le depart aussi bien des enfants vivant en hébergement d'urgence que ceux de bobos montreuillois », enchaîne l'élue. Sur ce, bonnes vacances !
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