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TRAVAILLEURS DÉTACHÉS

Condor Ferries, rapaces en pleine mer

28 octobre 2015 | Mise à jour le 1 mars 2017
Par | Photo(s) : Anna Solé
Condor Ferries, rapaces en pleine mer

La compagnie maritime Condor Ferries assure la liaison quotidienne entre Saint-Malo et l'Angleterre via les îles anglo-normandes Jersey et Guernesey. Qui sait, en montant à bord, que les navires sont une zone de non-droit social ?

Il a la voix lasse, mais refuse de se laisser abattre. Depuis neuf ans, Erwan est maître d'équipage chez Condor Ferries, la compagnie maritime qui relie la cité de Surcouf aux îles anglo-normandes. Depuis près de deux ans, il bataille ferme pour faire valoir ses droits.

À bord d’un des bâtiments battant pavillon bahaméen, les salariés bretons ont des contrats de travail de Guernesey qui n'offrent strictement aucun des droits auxquels peuvent prétendre les salariés travaillant en France.

« Ni retraite, ni Sécurité sociale, ni indemnisation en cas de perte d'emploi… Notre salaire, c'est du brut, car l'employeur ne paie aucune cotisation sociale », s'indigne Erwan, ancien chef d'entreprise devenu marin et délégué syndical CGT.

L'employeur Condor Ferries fait partie d'une nébuleuse de sociétés et de filiales qui mènent des Bahamas au Luxembourg avec, en bout de ligne, la banque d'affaires australienne Macquarie Group.

Numéro un du marché des fusions-acquisitions à Sydney, la société joue sur des montages juridiques complexes pour ne pas payer d'impôt, pour s'implanter dans des paradis fiscaux et pour profiter des aides publiques tout en dynamitant les normes du droit social.

« Comment les autres entreprises peuvent espérer être compétitives lorsque l'État tolère ce genre de comportements sur son territoire », explose Erwan.

AU FOND DE LA CALE SOCIALE

La mutinerie des marins débute en février 2014. À cette période, Condor Ferries décide de revenir sur ce que les marins considèrent comme le seul avantage : le « 7-7 ». Entendez, sept jours travaillés, sept jours de congés consécutifs. La conséquence immédiate de ce renoncement aurait été une réduction du nombre de jours de congés et des compressions de personnel. La goutte d'eau (très salée) de trop…

Autour d'Erwan, une vingtaine de marins bloquent le trafic maritime. Ils dénoncent les conditions de travail, exigent la Sécurité sociale pour les marins, des contrats de droit français ainsi qu'une revalorisation salariale.

La mobilisation écarte le projet de la direction. Mais, en guise de représailles de ces jours de grève, Condor Ferries dénonce la convention qui lie bon nombre de son personnel naviguant à la couverture maladie universelle (CMU).

« La CMU était le seul lien qui nous reliait un peu au droit français. C'était à chacun d'entre nous de faire les démarches, d'envoyer une copie de notre avis d'imposition. On savait que ce n'était pas normal puisqu'on travaillait en France et qu'on aurait dû bénéficier de la Sécurité sociale, mais c'était le seul moyen d'avoir une protection sociale », explique Erwan écœuré de ces irrégularités.

En guise de compensation, l'employeur propose à ses salariés de cotiser à une assurance privée dont les interlocuteurs sont basés à… Bangkok. Sur un salaire moyen de 2 500 euros (brut), la cotisation à la charge des salariés serait d'environ 700 euros.

L'alternative ? Ne pas se soigner pour un rhume ou une carie, se passer d'une visite chez l'ophtalmologiste ou « s'affilier, quand c'est possible, à la Sécurité sociale de son conjoint. Les collègues gravement malades doivent, en plus de la maladie, supporter la crainte de ne pas être remboursés, c'est terrible », témoigne encore Erwan.

Des politiques locaux à la presse, de la CPAM à la Chambre de commerce et d'industrie de l'Ille-et-Vilaine, Erwan et son collègue rennais Sébastien remuent terre et mer pour faire prévaloir leurs droits.

Un avocat nantais, maître Augustin Moulinas, assure le montage juridique du dossier des deux marins qui ont assigné Condor Ferries devant les prud'hommes. Il dénonce la situation ubuesque de ces citoyens, salariés et contribuables français.

Il s'appuie sur la jurisprudence en matière de droits maritime et aérien (Affaire Navimer et Ryanair) pour faire valoir que le droit applicable dépend du lieu où se situe le centre effectif de l'activité du salarié. Or, le personnel de Condor Ferries embarque et débarque tous les jours à Saint-Malo, plus connu comme cité des corsaires que zone de non-droit.

Le 4 décembre, le conseil des Prud'hommes aura à traiter du dossier Condor Ferries. La juridiction sociale devra, dans un premier temps, se prononcer seulement sur sa compétence à juger cette affaire. La décision sur le fond interviendra plus tard.

Avant que les marins de Condors Ferries puissent être des citoyens et des salariés égaux en droit et que cesse le scandale des travailleurs français détachés en France, l'eau va encore couler sous les ponts.

Fluctuat nec mergitur.