Après le leader mondial allemand Südsucker, qui annonçait la fermeture de deux de ses sucreries en France en février, c'est au tour de Cristal Union, deuxième sucrier français, de présenter, le 17 avril, un plan de restructuration. Avec des conséquences dramatiques pour trois de ses sites…
« Un coup de massue ! » C'est ce qu'ont pris sur la tête les salariés des sucreries de Toury, en Eure-et-Loir, d'Aulnat, dans le Puy-de-Dôme, et d'Erstein, dans le Bas-Rhin, le 17 avril dernier. Lorsque la direction de Cristal Union (CU), propriétaire de ces usines, annonçait la fermeture et la mise en vente de deux premières, une réduction sérieuse des activités pour la troisième. Avec à la clé la menace d'une suppression de quelque 300 emplois.
La faute à la fin des quotas sucriers au niveau européen, en 2017, et à une surproduction mondiale responsable de la chute des prix du sucre, expliquait-on à la direction. « Une fin des quotas à laquelle ils ne s'étaient pas préparés et une mauvaise gestion de l'entreprise », répond de son côté Frédéric Rebyffé, délégué syndical central CGT chez CU et secrétaire du CE de Toury.
Chute des cours et faute stratégique de l’entreprise
C'est que, après avoir vu leurs bénéfices s'envoler grâce au soutien de la PAC depuis le milieu des années 1960, sucriers européens et français voyaient dans cette fin des quotas la possibilité d'augmenter leur production et d'inonder le marché mondial. De faire grimper d'autant leurs bénéfices. Omettant cependant un détail important dans leur raisonnement : le fait que, dans un marché dit mondial, d'autres acteurs pouvaient aussi pointer leur nez. Résultat : la production mondiale de sucre s'est envolée, portée par des récoltes exceptionnelles de cannes à sucre dans des pays comme l'Inde, la Thaïlande ou le Brésil. Et les cours se sont effondrés, atteignant leur plus bas l'année dernière.
« Une faute stratégique de l'industrie sucrière française » qui n'a pas épargné Cristal Union, dont la gestion pour le moins particulière est également pointée du doigt. « Il y a un mode de fonctionnement complètement aberrant », explique le représentant syndical. « On taille dans les effectifs “ouvriers” pour baisser les coups de main d'œuvre mais on augmente tout ce qui est service support, les QSE, les administratifs, les directions désormais logés dans un bâtiment construit à côté de Reims qui a coûté 14 millions d'euros. On met mis du fric dans des cabinets de conseil ou de management, des services de sous-traitance qui coûtent une fortune et l'on nous donne tout juste les moyens de maintenir le site en l'état pour produire. Et c'est nous qui trinquons. »
« Nous », les « 150 emplois directs » concernés par la fermeture du site de Toury, bien sûr, mais pas que. Car dans cette petite ville de 3 000 habitants de l'Eure-et-Loir, la sucrière, plus que l'une des deux seules entreprises qui y sont installées, c'est un monument. Championne du monde de production de sucre à ses heures de gloire, avant d'être rachetée par Cristal Union, elle a, depuis ses débuts il y a 145 ans, toujours fait partie de la vie économique de la région. Faisant vivre saisonniers, transporteurs, artisans, sous-traitants et commerçants.
Colère et détermination des ouvriers
Autant dire que cette fermeture annoncée prend des allures de véritable « gâchis » pour Frédéric Rebyffé qui, « 10 jours après le coup pris sur la tête », affirme que « la tristesse a fait place à la colère et à la détermination ». Et promet des mobilisations à venir.
Colère et détermination que partagent, à plus de 300 kilomètres de là, leurs collègues de la sucrerie Bourdon, installée près d'Aulnat, dans le Puy-de-Dôme, où 96 emplois sont visés par cette restructuration du groupe. Avec des conséquences toutes aussi dramatiques sur la vie de la région. « En tout, c'est 350 emplois directs et indirects qui sont menacés sur le bassin, ce qui va faire du dégât sur toute la périphérie de Clermont-Ferrand », prévient Philippe Mathey, élu CGT au CE de cette sucrerie qui appelle lui aussi à la mobilisation générale pour sauver l'entreprise. Avec un argument de poids : « S'il y a fermeture, il n'y a plus d'usine. Et s'il n'y a plus d'usine, il n'y a plus de betteraves en Limagne. »
Car si les planteurs de l'Eure-et-Loir qui apportaient leurs betteraves à Toury pourront toujours se rabattre sur deux autres sucreries toutes proches et appartenant elles aussi à Cristal Union, ceci expliquant sans doute aussi cela, pour les betteraviers auvergnats, pas d'alternative possible. « Nous sommes la seule sur l'Auvergne. Après, l'usine la plus proche, c'est la sucrerie d'Arthenay, au sud d'Orléans, a plus de 300 km d'ici », explique Philippe.
Pas de quoi enthousiasmer les quelque 450 planteurs de la région qui réfléchiraient à une reprise de la sucrerie d'Aulnat, autre monument du patrimoine sucrier français puisqu'elle date de 1836. Une initiative que soutiennent « à 100 % » Philippe Mathey, la section CGT, seul syndicat présent, et les salariés du site. « Cette usine est la plus vieille de France, mais elle est en bon état de marche. On nous parle d'écologie et de limiter les transports routiers mais si l'on commence par centraliser tout sur une grosse usine et envoyer ensuite des camions partout, il y a quelque chose qui ne vas pas. »
Quant aux employés de la sucrerie d'Erstein, installée à deux pas de la frontière avec l'Allemagne, si le département « conditionnement » est, pour l'instant, le seul concerné, avec la mise à pied de 60 à 70 personnes tout de même, le sort de ceux attachés à la production reste toujours en suspens. Et sans espoir d'une quelconque aide à venir du côté allemand. Südzucker, numéro un mondial du secteur et propriétaire de la marque Saint-Louis, annonçait lui aussi, en février dernier, la fermeture de deux de ses sucreries françaises.
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